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pouvait faire le plus grand dommage à la cause commune ; mais l’inexécution des compactats, les progrès de la réaction, l’arrogance du parti romain, devaient réveiller tôt ou tard les modérés au sein de leur quiétude et leur imposer, bon gré, mal gré, un rôle plus énergique. Quant aux taborites si les circonstances devaient aussi amener un grand nombre d’entre eux à se réunir aux calixtins ardens, le fond du parti demeurait intraitable. Il ne voyait qu’une chose, la pure doctrine évangélique ; il n éprouvait qu’un seul sentiment, la haine de l’église romaine sous quelque forme que ce fût, la haine du pouvoir absolu et de ceux qui prétendaient le réformer, la haine du pape et du concile. Qui sait même si des doctrines contraires à l’Evangile ne se glissaient pas obscurément dans ces âmes exaspérées ? Qui sait si les accusations portées contre les tumultueux sectaires, tout envenimées qu’elles fussent par la passion et mêlées de calomnies odieuses, ne renfermaient point quelque part de vérité ? L’anarchie des croyances répondait à l’anarchie politique, et il se peut bien que des doctrines anti-chrétiennes, introduites d’une façon ténébreuse chez de fanatiques esprits, eussent creusé un abîme entre les hommes que le sire de Pirkstein s’efforçait de réunir. N’importe : la gloire de ce noble chef est d’avoir compris qu’un large courant d’idées communes et d’intérêts solidaires finirait par concentrer les forces dispersées de la grande insurrection hussite, c’est-à-dire de la Bohême et du peuple tchèque. Au milieu du morcellement de la patrie, cette vue de l’avenir soutenait son courage. Il travaillait par tous les moyens à préparer ce foyer de vie et d’action, résolu à le diriger contre le parti qu’on ne saurait nommer le parti catholique sans défigurer le véritable aspect des choses, mais qu’il faut appeler, pour être exact, le parti étranger, le parti allemand et romain.

Le parti romain avait pour chef dans l’ordre temporel le sire Ulrich de Rosenberg, dans l’ordre spirituel le chapitre de la cathédrale de Prague. Au point de vue du nombre et des ressources générales, ce parti était le moins important des quatre, mais il profitait habilement de la division de ses ennemis, et il avait d’ailleurs deux avantages considérables, l’appui de la haute noblesse du royaume et l’importance personnelle de son chef. Ulrich de Rosenberg était le plus puissant et le plus riche des barons de la Bohême ; ses domaines étaient immenses, il possédait maints châteaux, maintes places fortes, et de nombreux vassaux lui reconnaissaient une espèce de suzeraineté. Sans avoir besoin d’être sans cesse à l’œuvre, comme le sire de Pirkstein, pour rallier ses troupes débandées, sans avoir à payer de sa personne, à monter à cheval, à se montrer de tous côtés, à réparer chaque matin les brèches de la veille, il disposait d’une armée à qui son nom seul servait de ralliement et de drapeau.