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dont il avait besoin ; mais ni le concile ni le pape ne se hâtaient de résoudre une question si grave. Instituer un archevêque hussite dans la capitale de la Bohème, n’était-ce pas du premier coup donner gain de cause à la révolution ? Au lieu d’accorder aux disciples de Jean Huss une espèce d’amnistie, ou du moins un édit de tolérance, comme le voulaient les compactats d’Iglau, n’était-ce pas proclamer leur victoire ? On devine l’agitation que devait produire un pareil incident : l’archevêché de Prague était comme une forteresse qui, donnant la clé du pays, était assiégée par tous les partis avec une fureur croissante. Comment raconter tous les incidens de la lutte ? Le pape Félix V, prenant un moyen terme, avait nommé un autre archevêque, choisi également dans les rangs des hussites, mais des hussites modérés, que commandait le sire Meinhardt : complication de plus et complication inutile ! l’importance de Rokycana n’en fut pas diminuée. Il était toujours le protégé du hardi sire Ptacek de Pirkstein : c’était toujours lui que réclamait le parti de l’action, c’était lui qui, acclamé dans les diètes, appelé de tous côtés par le peuple des campagnes, devenait de plus en plus le représentant de la religion nationale ; mais aussi que de fois il lui fallut payer de sa personne comme les évêques des premiers siècles ! que d’émeutes à vaincre ! que d’hérésies à combattre ! Soit qu’il provoquât les taborites à des discussions solennelles, soit qu’il eût à conduire des négociations avec les calixtins modérés, tribun ou diplomate, il était sans cesse à son poste de combat, et ses victoires étaient souvent aussi périlleuses que ses défaites.

Quand l’anarchie est se grande dans l’ordre politique et religieux, que peut être le domaine des intérêts civils ? À vrai dire, c’était le chaos. Point de tribunaux, nulle justice à invoquer ; il n’y avait de droit que le droit du glaive. On se battait pour la limite d’un champ, pour l’usage d’un cours d’eau, pour le règlement d’une dette ; on se battait un contre un ou bandes contre bandes. C’étaient des duels ou des batailles. le plus souvent ces conflits d’intérêts privés n’étaient que la suite des conflits politiques. Un jour le sire Ptacek, ne pouvant obtenir le paiement d’une somme que lui devait le sire Meinhardt, son rival, alla lui prendre le château et la petite ville de Bilkow en Moravie. Quelquefois aussi il y avait lutte entre les hommes d’une même fédération : le vieil annaliste de ces confuses années, — quelque bourgeois de Prague sans doute, qui consigne jour par jour les événemens, comme faisait chez nous, en des heures presque aussi ténébreuses, son contemporain le bourgeois de Paris, — mentionne sans cesse des duels, des combats, des sièges, des prises de villes ou de châteaux-forts pour le règlement d’affaires particulières. La justice criminelle était expéditive : les bourgeois de la ville de Brunn, ayant on ne sait quel procès avec le sire Héralt