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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/629

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George de Podiebrad se trouvait en relations de parenté ou d’alliance avec les principaux chefs des partis qui divisaient la Bohême. Il était homme à profiter de cet avantage ; sa prudence égalait sa hardiesse, et il voulait travailler au bien de tous. AEnéas Sylvius, si longtemps mêlé aux affaires de Bohême avant de devenir pape sous le nom de Pie II, rend un éclatant témoignage à ses qualités morales. « C’était, dit-il, un homme petit, trapu, la peau très blanche, les yeux pleins de flamme, de mœurs paisibles, infecté, il est vrai, de l’erreur des hussites, mais amoureux de la justice et du droit. »

George de Podiebrad n’avait que vingt-quatre ans lorsque mourut son chef, le sire Ptacek de Pirkstein. Inspiré par le danger public, il eut l’ambition de le remplacer ; il était initié à ses desseins, il avait. les mêmes vues, la même politique, et il allait les soutenir avec la même ardeur, aidée de ressources nouvelles. Mais son heure a-t-elle déjà sonné ? N’est-il pas trop jeune encore pour attirer les regards, pour commander la confiance, dans l’affreuse mêlée que nous avons décrite ? Non, les hommes mûrissent vite au feu des révolutions ; signalé aux hussites par le souvenir de Ziska, par l’amitié de Ptacek, par les services de sa famille et les siens propres, George de Podiebrad était moins jeune que son âge ; il y avait dix ans qu’il était entré sur la scène et ne l’avait point quittée. Il faut se rappeler ces circonstances si l’on veut comprendre avec quelle rapidité ce capitaine de vingt-quatre ans devient un chef redoutable, la terreur de la réaction et l’espoir des hussites.

Assuré du concours de tous ceux qui marchaient naguère avec le sire de Pirkstein, George de Podiebrad s’empare de la direction des affaires. Son premier soin est de régler la question de l’archevêché de Prague. Qu’il réussisse ou non à obtenir l’institution canonique de maître Rokycana, l’ardeur qu’il va mettre à poursuivre ce but le signalera aux yeux de tous ; ce sera la consécration de son pouvoir, ce sera sa prise de possession. À qui s’adresser cependant ? Où est l’autorité suprême de l’église ? Félix V ou Eugène IV, lequel choisir ? La question est toujours pendante ; la Bohême, comme tous les princes d’Allemagne, comme l’empereur Frédéric III lui-même, a résolu de rester neutre entre les deux pontifes. Le jeune chef imagine une combinaison nouvelle : un des éminens docteurs du concile de Bâle, le cardinal Julien, est légat d’Eugène IV dans les contrées allemandes ; n’est-ce pas là le conciliateur indiqué par les événemens ? Son rôle passé comme sa situation présente lui assurent une double autorité ; puisqu’il représente à la fois le saint-siège et la grande assemblée de l’église, ce n’est pas rompre la neutralité que de s’adresser à lui. Subtilités bizarres qui montrent bien l’incroyable confusion de la société religieuse dans cette période ! Mais cette ressource elle-même