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culte catholique ; il avait bien des préventions à vaincre pour voir des chrétiens dans les partisans de Jean Huss ; les avertissemens d’AEneas Sylvius, sans parler des vociférations de Jean Capistran, résonnaient toujours à ses oreilles. Podiebrad comptait sur le temps, sur l’étude et l’expérience personnelle du jeune roi pour dissiper ses scrupules. Il évitait de heurter ses opinions, même il ajournait l’affaire toujours pendante de l’archevêché de Prague, afin de ne pas engager le souverain dans des complications auxquelles sa foi n’était pas préparée. Les amis de Podiebrad, dans leur impatience, ne comprenaient guère ces délicatesses, et l’un d’eux, en plein parlement, ne craignit pas de lui adresser une espèce de sommation avec une extrême violence de langage. AEneas Sylvius, trompé par sa modération, croyait aussi que son cœur était changé, et ne lui ménageait pas les flatteries pour le ramener complètement à l’obédience de Rome ; Les argumens les mieux choisis se mêlaient aux félicitations caressantes dans les lettres du spirituel évêque. « Podiebrad avait fait de grandes choses, disait AEneas Sylvius, il avait dépassé tout ce qu’on espérait de lui ; un royaume, naguère frappé au cœur, se relevait sous sa main ; la chrétienté, déchirée elle-même par des divisions meurtrières, réclamait un bienfait semblable. Était-ce en face de l’invasion ottomane qu’un héros comme George de Podiebrad pouvait s’opposer à l’unité de l’église ? » En même temps que l’évêque de Sienne lui tenait si habilement ce noble langage, Capistran, persuadé de son côté que l’heure décisive avait sonné, demandait au roi Ladislas la permission de venir prêcher à Prague. Podiebrad sut maintenir sa ligne avec une modération inflexible ; il ne se laissa troubler ni par les clameurs des impatiens, ni par les flatteries des hommes qui mettaient si bien à profit les calamités publiques. Résolu à marcher contre les Turcs avec l’armée hussite, il ne croyait pas que ses devoirs envers l’Europe le déliassent de ses devoirs envers la patrie. Aux factieux du parlement il disait de sa voix retentissante : « Qui ose douter de ma parole ? L’église nationale m’a confié sa cause, c’est à moi de choisir le jour et l’heure pour agir utilement. » Il promettait son épée, mais non pas sa conscience, à AEneas Sylvius. Quant à Jean Capistran, il lui refusait sans hésiter l’entrée de la ville de Prague. Montrer tant de mesure et de fermeté tout ensemble, déployer l’art d’un politique moderne sur un théâtre où s’agitait la mêlée du moyen âge, n’était-ce pas travailler encore à l’éducation du jeune roi ?

Maintes questions de détail qui intéressaient l’intégrité du territoire, maintes querelles avec les états de Silésie, avec le duc de Saxe, le duc de Luxembourg, le margrave de Brandebourg, furent aussi pour Podiebrad une occasion d’initier Ladislas aux affaires de la Bohême, et de le faire apparaître en roi au peuple tchèque. Le grand