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intérêt cependant qui domine tous les autres, c’est la lutte contre l’invasion ottomane. L’année même où Ladislas avait été couronné à Prague, le jeune sultan Mahomet II s’était emparé de Constantinople. L’Europe était consternée. Les deux pouvoirs qui représentaient l’unité européenne au moyen âge, l’empereur et le pape, n’étaient guère en mesure de répondre aux exigences de leur tâche. Le pape, Nicolas V, était un vieillard infirme qui sentait déjà les approches de l’heure suprême ; Frédéric III, en apprenant la ruine de l’empire grec, s’enferma dans son palais, pleura, pria, fit pénitence, mais ce fut tout ce qu’il put faire pour secourir la chrétienté. L’empire entre ses mains n’était qu’un pouvoir nominal, et il n’avait pas l’énergie nécessaire pour tirer de cette situation amoindrie les ressources qu’elle renfermait encore. Toujours en querelle avec ses vassaux et occupé sans cesse à les tromper, il profitait trop bien des divisions de l’Allemagne pour souhaiter ardemment la vigoureuse union de toutes ses forces. L’idée seule d’une croisade effrayait sa politique de petites ruses et de misérables calculs. À vrai dire, tous les souverains de l’Allemagne pensaient de même ; jamais les rivalités des princes dans une féodalité abâtardie ne produisirent un égoïsme plus lâche. Un seul état dans ce désarroi général était décidé à une lutte à mort contre les conquérans de la Grèce : c’était l’empire de Ladislas, avec ses Bohèmes et ses Hongrois. Dès le mois de janvier 1454, pendant que Rome, par la voix de Nicolas V, pousse quelques clameurs inutiles, pendant que l’Allemagne délibère dans ses diètes souveraines, avec l’intention de ne rien faire, la diète hongroise d’Ofen ordonne à tout ce qui possède un pouce de terre de se ranger sous la bannière de la croix. Le clergé même, prêtres et prélats, est appelé aux armes et répond à l’appel. Aussi, quelques mois après, Mahomet ayant pénétré en Serbie, Hunyade s’élance à la tête d’une armée enthousiaste, passe deux fois le Danube, atteint l’ennemi à Krusewac, l’enfonce, l’écrase, et du premier coup le met hors d’état de tenir la campagne pour toute l’année.

À côté des sujets de Ladislas, il y a deux hommes d’un autre pays qui ont joué un grand rôle dans cette lutte : ce sont ces deux personnages que nous avons rencontrés déjà sur le théâtre des affaires de Bohême et dans des circonstances bien différentes, AEneas Sylvius et Jean Capistran. Si Nicolas V se décida à convoquer la chrétienté au secours de l’Europe orientale, c’est Sylvius qui par ses exhortations et ses reproches a réveillé le vieux pontife ; c’est lui encore qui secoue la torpeur de Frédéric III et qui harcèle princes et peuples d’Allemagne. Il prend la place des pouvoirs qui abdiquent ; on dirait qu’il est le pape et l’empereur. Jean Capistran est près de lui à la diète de Francfort, à l’assemblée de Neustadt. Les passions qui l’animent cette fois sont de généreuses passions. N’est-ce pas un noble spectacle