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Ce fut une impression de stupeur. Podiebrad accourut, et comme il exhortait le roi à ne pas s’abandonner, à rassembler ses forces et son courage : « Mon cher George, lui dit le mourant, voilà bien des années que je connais ton cœur loyal et magnanime. C’est toi qui as fait que le peuple de Bohême m’a donné la couronne. J’espérais exercer longtemps dans de pays ce souverain pouvoir que tu m’y as préparé ; mais Dieu en a décidé autrement. Je sens que je meurs. Le royaume va être dans tes mains. J’ai deux demandes à te faire, mon chef George : je te prie d’abord de chercher à maintenir la paix parmi les peuples que j’abandonne a eux-mêmes, d’être un gouverneur loyal pour ce royaume, un juge équitable pour les veuves, les orphelins, les pauvres, et d’étendre sur eux ta main protectrice. Voici maintenant ma seconde demande : fais en sorte, je t’en prie, que tous ceux qui m’ont accompagné en Bohême, venant d’Autriche ou d’autres pays, puissent retourner chez eux sans éprouver aucun dommage, sans être exposés à aucun péril. C’est le dernier bienfait que je réclame de toi. Ne me le refuse pas. » George répondit que c’étaient là des pensées bien prématurées ; le roi, disait-il, sera bientôt guéri et gouvernera son royaume à sa guise. Il le conjurait enfin de ne plus parler de choses si douloureuses pour ses amis, et qui devaient lui faire grand mal à lui-même. Le roi lui prit la main et dit : « Promets-moi de faire, ce que je t’ai demandé ; oh ! je sens bien que je vais mourir. Si tu accomplis mes ordres, j’invoquerai pourvoi la grâce de Dieu, car ma vie n’a pas été tellement mauvaise que l’entrée du royaume du ciel me soit refusée. Je quitte les biens de la terre pour ceux du paradis. Ainsi que mes prières et mes vœux te soient sacrés ! » Podiebrad, éclatant en sanglots, promît au roi que tous ses ordres seraient religieusement accomplis. On amena les prêtres au lit du mourant, qui reçut avec grande dévotion les sacremens de l’église. L’agonie se prolongea doucement jusqu’au lendemain. Vers le soir, se sentant plus faible, Ladislas se fit présenter un crucifix avec des cierges allumas, et, les regards attachés sur l’image du Christ, il récita d’une voix mourante la prière que le Sauveur a enseignée aux hommes. Au moment où il disait : Délivrez-nous du mal ! son souffle s’éteignit avec le dernier mot. C’était le mercredi 23 novembre 1457, quelques minutes ayant le coucher du soleil.

Comment dire la stupeur, dont la Bohême fut frappée ? Après tant d’efforts pour mettre fin à une effroyable anarchie, tout était remis en cause. L’Europe orientale fut comme atteinte au cœur. Excepté Charles VII, enfin délivré des Anglais, il n’y avait pas dans la chrétien un monarque plus puissant que Ladislas. Avec les états dont il était le roi et ceux qui le reconnaissaient pour suzerain, son empire allait bientôt s’étendre de la mer Baltique à la Méditerranée. Il y avait au sein de la féodalité allemande deux pouvoirs qui dominaient