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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/662

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monde des sentimens exaltés, il est vrai, mais très nobles, très simples, et en eux-mêmes très naturels. On y voit une sœur animée, pour l’homme qui est à la fois son frère unique et son roi, d’une affection enthousiaste et dévouée, dont le ton, sauf une nuance de respect, rappelle un peu celui des lettres de Mme de Sévigné à sa fille ; mais, on ne trouverait pas dans ces cent trente-sept lettres, une seule phrase qui indique une réticence ou qui supporte une interprétation équivoque, et les sentimens les plus sacrés ; s’y combinent sans cesse avec l’affection que la sœur porte à son frère.

Tous deux, par exemple sont liés par un trait d’union qui revient à tout propos dans les lettres de Marguerite : c’est la tendresse profonde qu’ils éprouvent pour leur mère, Louise de Savoie. Que des enfans aiment leur mère, qu’une mère aime ses enfans, il n’y a rien là, qui mérite une remarque ; mais il est certain qu’on a rarement vu, surtout dans ces hautes régions, séjour des orages, trois êtres éprouvant les uns, pour les autres une sollicitude, aussi tendre, aussi continuelle, et vivant dans une harmonie aussi intime, aussi inaltérable que ces trois personnes : Louise de Savoie, son fils et sa fille. Les contemporains les appelaient et ils s’appelaient eux-mêmes une trinité. Dans une lettre que la mère et la fille écrivent ensemble au prisonnier de Charles-Quint, elles lui disent : « Pour ce que le Créateur nous a fait la grâce que notre trinité, a toujours été unie, les deux vous supplient que cette lettre, présentée à vous qui êtes le tiers, soit reçue de telle affection que de bon cœur la vous offrent[1]. » Et Marguerite de son côté, qui se prépare à partir pour aller consoler son frère dans sa prison et négocier sa délivrance, après lui avoir dit avec sa vivacité accoutumée qu’elle est prête à mettre au vent la cendre de ses os pour lui faire service, ajoute : « Et à cette heure je sens bien quelle force a l’amour que Notre-Seigneur, par nature et connaissance, a mise en nous trois[2]. »

Un autre sentiment, dont l’expression, très fréquente, dans les lettres de Marguerite à son frère, suffirait pour écarter de ces lettres toute suspicion, si elles n’étaient par elles-mêmes d’une pureté manifeste,

  1. Cette lettre, que n’a pas recueillie M. Génin, a été publiée par, M. Aimé Champollion-Figeac dans son volume intitulé la Captivité de François Ier. Marot et Marguerite ont également chanté en vers la trinité dont il vient d’être question.
  2. L’histoire, qui prétend tout savoir et qui souvent se contente de répéter indéfiniment l’erreur du premier venu, l’histoire est généralement très sévère pour la mère de François Ier et de Marguerite. Il se peut que Louise de Savoie ait eu de grands défauts, quoique tout ce qu’on a dit de ses prétendues débauches ne soit appuyé sur aucun témoignage sérieux ; mais elle avait certainement de grandes qualités. Et aujourd’hui que nous pouvons lire tout à la fois des lettres de Marguerite, de François Ier et de leur mère, il me paraît incontestable que Louise de Savoie vaut mieux que sa réputation et que François Ier gagne également à être mieux connu.