ne me demandez pas expérience pour défaite, qui, suivant M. Génin, signifie que le roi invoque l’expérience pour se tenir éloigné de sa sœur, et que celle-ci n’y voit qu’un prétexte, une défaite. M. Michelet ajoute : « Nous ne savons bien que ce mot. » Cependant il vient de nous dire sept lignes plus haut : « La chose est trop constatée. » Dans sa donnée, Marguerite, épouvantée et désespérée, s’enfuit, et elle écrit à genoux une lettre dont le sens est celui-ci : « Elle se donne pour se mieux garder. » M. Michelet ne peut pas se dissimuler cependant que dans cette lettre Marguerite demande instamment à son frère, soit de la venir voir, soit de lui permettre d’aller le rejoindre ; mais c’est à son avis, un artifice prudent, une précaution oratoire pour arriver à le supplier de ne pas demander expérience pour défaite, c’est-à-dire l’épreuve matérielle de sa défaite morale. Ceci est une nouvelle traduction que fait M. Michelet de la phrase déjà citée.
J’en demande bien pardon à l’éloquent historien, mais cette interprétation ne tient pas devant le texte. Ou ce texte est criminel, ou il est innocent ; s’il est criminel, ce qu’il offre de plus clair, c’est incontestablement le désir qu’y témoigne Marguerite, soit de recevoir son frère chez elle, soit d’aller le trouver chez lui. Quand elle lui dit d’abord : « J’espère que vous ne vous détournerez pas de votre chemin pour m’éviter ; » quand elle ajoute ensuite : « Le désir que j’ai de vous pouvoir voir et parler à vous me presse de très humblement vous supplier que, si ce ne vous est ennui, me le faire dire par ce porteur, et incontinent, je partirai, feignant autre occasion, » il est absolument impossible de reconnaître là le langage d’une « sœur qui a fui épouvantée devant une tentative infâme, et qui cherche à se garder de son frère. » Au lieu de travailler vainement à déplacer une culpabilité imaginaire, M. Michelet aurait bien mieux réussi en prouvant que cette culpabilité n’existait pas.
Quant à l’autre historien, M. Henri Martin, qui a pris également au sérieux cette donnée bizarre, il nous paraît probable qu’au lieu de recourir au texte il s’en est rapporté à M. Michelet. « S’il y eut, dit-il, du frère ou de la sœur un coupable d’intention, ce ne fut certainement pas Marguerite. » Ne serait-il pas plus simple de déclarer, jusqu’à preuve contraire, qu’ils ne le furent ni l’un ni l’autre ?
C’est vainement qu’on prétendrait poétiser et noircir en même temps la figure de Marguerite en la comparant à la sœur de René. Les sœurs de René ne conservent un certain prestige qu’à la condition de disparaître aux regards des hommes aussitôt qu’elles se sont aperçues elles-mêmes du sentiment coupable qui les torture, et de cacher au fond d’un cloître leurs agitations et leurs souffrances. Si elles vivent dans le monde, si elles se marient, si elles ont des enfans, et surtout si elles écrivent l’Heptaméron, elles ne sont plus