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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/681

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la porte ici à déguiser la vérité, car, si l’on en croit Brantôme, la dauphine Catherine de Médicis et la princesse Marguerite, depuis duchesse de Savoie, essayèrent de travailler avec la reine de Navarre à l’ouvrage en question ; mais quand elles eurent lu les récits de celle-ci, elles jetèrent, dit Brantôme, leur travail au feu et ne le voulurent mettre en lumière. Toujours est-il que la reine de Navarre, une fois engagée dans cette entreprise et pour distraire ses loisirs, résolut d’exécuter à elle seule l’œuvre commune, en tirant parti des sujets divers, que ses collaborateurs, plus ou moins paresseux, pouvaient lui fournir.

Ce ne fut donc pas dans sa jeunesse, comme on l’a dit à tort, mais de 1541 à 1543, quand elle avait par conséquent dépassé la cinquantaine, qu’elle commença à rédiger ce recueil de contes. Il devait, comme celui de Boccace, se composer de cent récits divisés en dix journées, et porter par conséquent le titre de Décaméron, qui même lui est donné dans plusieurs manuscrits ; mais, l’auteur s’étant arrêté à la soixante-douzième nouvelle, on a généralement adopté pour son ouvrage le titre d’Heptaméron, quoique ce titre soit en lui-même impropre, puisque l’ouvrage contient non-seulement sept journées, mais les deux premières nouvelles de la huitième journée. On voit du reste que Marguerite a travaillé à ce recueil jusque dans la dernière année de sa vie, car la soixante-sixième nouvelle a pour sujet une anecdote où figurent sa fille, Jeanne d’Albret, et le prince Antoine de Bourbon, nouvellement mariés. Or ce mariage eut lieu le 20 octobre 1548, et Marguerite mourut en octobre 1549.

Dans son désir d’imiter surtout les plus belles parties du Décaméron, la reine de Navarre débute par un prologue, évidemment inspiré par celui de Boccace, quoique fort inférieur. Tout le monde connaît le magnifique et sombre tableau de la peste de Florence, en 1348, qui sert d’introduction aux contes du nouvelliste italien. Pour fuir le fléau, sept jeunes dames et trois jeunes cavaliers se réunissent dans une charmante villa. Ils conviennent que la direction des amusemens de la société sera confiée chaque jour à un des associés choisi pour reine ou pour roi, que ce souverain ou cette souveraine d’un jour choisira son successeur, et que parmi les amusemens figurera pour chacun l’obligation de raconter une nouvelle par jour.

Pour préparer de la même manière le lecteur à ses récits, la reine de Navarre suppose « qu’une dame veuve de longue expérience, nommée Oisille, » qui s’est rendue aux eaux de Cauterets, se trouve retenue à l’abbaye de Notre-Dame-de-Sarrance par un débordement du Gave béarnais. Ce débordement, ayant rompu tous les ponts, amène dans la même abbaye, à la suite d’une série d’incidens