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des marquis Veyrandoni, des messer Zia, des Aristes et des Ebur, il n’est nullement besoin de les aller chercher dans l’île des sirènes, au bord de ce lac bleuâtre où les oiseaux parlent, où les arbres rendent des oracles, où les blanches nymphées enferment des moitiés d’âme ?

Avec le spirituel auteur de the Heir of Redclyffe, Heartsease the Daisy Chain, et de tant d’autres romans dont les mères conseillent la lecture aux jeunes filles tant soit peu lettrées, nous étions certain, par avance, de rentrer dans le domaine de la vie réelle que nous menons tous chaque jour, et dont les moindres incidens, bien observés, ont leur intérêt d’application actuelle, immédiate, leur attrait que volontiers on appellerait « photographique. » Ici[1], plus de vaines fantaisies, plus d’absurdes mélodrames, plus de dissonances grotesques entre la vulgarité du fond et les prétentions de la mise en œuvre. Le romancier choisit une situation particulière, mais nullement exceptionnelle ; avec les difficultés spéciales de cette situation, il met aux prises un caractère nettement accusé, mais non tout d’une pièce. Son habileté consiste ensuite à grouper autour de ce personnage vivant d’autres types aussi divers, mais en même temps aussi vrais que possible, uniformes à la surface comme l’exige la vie de notre temps, mais doués de penchans, d’aptitudes, d’instincts qui varient à l’infini, comme le veut l’ordonnance éternelle des sociétés humaines. Albinia Ferrars est une de ces demoiselles à qui ne s’applique plus déjà le nom de « jeunes personnes ; » ce sont de jeunes femmes, surtout de jeunes belles-mères, quand le mariage les appelle, un peu plus tard que de coutume, à une mission dont on pouvait douter qu’elles fussent jamais investies. Miss Ferrars a vingt-trois ans ; sans qu’elle soit précisément belle, on lui reconnaît tous les charmes d’une physionomie agréable. Douée d’un cœur chaud, d’une volonté active et forte, d’une grande sérénité d’esprit, marchant à l’accomplissement de ses devoirs avec une gaîté, une résolution imperturbables, elle épouse un ex-civilian de la compagnie des Indes resté veuf avec trois enfans. M. Kendal accepte avec reconnaissance, mais sans aucun enthousiasme, la tendresse respectueuse et dévouée qui vient s’offrir à lui, et qui sollicite avec ardeur la moitié du fardeau qu’il est condamné a porter. Pour lui, la paternité n’est guère autre chose ; il en accomplit strictement les devoirs, mais avec plus de résignation que d’entraînement. Ses goûts sont ailleurs. M. Kendal est par nature un érudit, un homme de cabinet et de bibliothèque. Marié de bonne heure à une

  1. The Yomg Stepmother, or A Chronicle of Mistakes, by the author of the Heir of Redclyffe, 1 fort volume, London, Parker, 1861.