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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/696

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rentre à l’improviste et surprend de cet entretien remarquablement affectueux quelques paroles fort inquiétantes, s’emporte de plus belle et devient tellement menaçant qu’Ebur ne croit plus pouvoir, sans danger ni déshonneur, laisser Amanda aux mains de cet époux irrité. Celle-ci d’ailleurs, dans ce nouveau conflit, a nettement déclaré à Zia qu’elle ne le regardait plus comme son mari ; puis, trouvant peut-être fort en règle ce divorce improvisé, elle entraîne dans sa chambre, malgré les efforts de Zia, — et après ce que l’auteur appelle « une triste lutte, » — le « frère » qu’elle accablait tout à l’heure des marques de sa tendresse. Un mari ordinaire eût probablement forcé la porte et brisé les verrous. Zia, lui, se tient pour rassuré par la perspective d’un bon duel et d’une bonne séparation qui, dès le lendemain, doivent le débarrasser et d’un odieux rival et d’une femme indigne. Ces intéressans personnages se livrent à tous les transports de leur colère et de leur tendresse, deux sentimens qui, s’exaltant l’un par l’autre, pourraient les mener fort loin. La sirène ne nous laisse que trop clairement entrevoir, dans sa confession naïve, combien furent prompts les ravages du double incendie. Ebur marche au combat du lendemain, à moitié désarmé par la conscience qu’il a d’avoir trahi les plus saints devoirs de l’hospitalité. Amanda, déjà dégradée à ses propres yeux par une faiblesse dont elle ne se croyait pas capable, et qui voit les remords et la honte succéder dans le cœur de son amant aux élans passagers d’un amour criminel, se poignarde comme Lucrèce. Zia survient alors, retrouve en lui devant ce cadavre toute la tendresse qu’il avait eue pour sa légère épouse, et, accusant Ebur du meurtre qui vient de s’accomplir, l’immole à son tour avant de disparaître pour jamais.

Encore une fois, sirène, que nous veux-tu ?… En quoi la métempsycose et Pythagore sont-ils nécessaires à cette redite d’un conte cent fois répété ? Tant de poésie, de métaphysique et de mythologie autour de tant de prose ont droit de nous étonner, d’autant mieux que, sous cet entourage hybride, il nous semble reconnaître le réalisme contemporain avec toutes ses nudités. Cette marquise espagnole, cette belle Phanariote rappellent, à s’y méprendre, les types de flirt anglaise que l’on peut étudier à la septième page des grands journaux de Londres, dans les comptes-rendus de la Court of Probare and Divorce, tribunal spécial, hanté par les amateurs de scandale et présidé par un des magistrats les plus sarcastiques dont on se puisse faire idée, sir C. Cresswell. C’est bien là cette faiblesse armée d’orgueil, cette naïveté, cet emportement dans la corruption, cette superbe obstinée après la chute, qui caractérisent chez nos voisins les « anges de l’adultère. » Faut-il ajouter que les maris, voire les amoureux, sont tout aussi ressemblans, et que, pour rencontrer