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conjecture, ce doute, nous n’avons pas la pensée d’incriminer et d’affaiblir M. Rattazzi. Nous sommes sûrs au contraire que M. Rattazzi a cru suivre la politique la plus favorable aux intérêts de son pays. Il a dû croire que moins il parlerait de Rome et plus il s’en rapprocherait. Il a dû penser que le gouvernement impérial lui saurait gré des ménagemens qu’il avait pour nos propres embarras à Rome. Il a dû espérer qu’une telle conduite obtiendrait de la France une récompense prochaine. Nous ne blâmons pas M. Rattazzi d’avoir fait ainsi, à ses propres dépens, gagner du temps à la politique française. Sa conduite sera suffisamment justifiée par le succès. C’est vers notre propre gouvernement que nous nous tournons. De plus longues temporisations à l’égard de la question romaine ne feraient qu’user irréparablement en Italie un ministère qui a montré le prix qu’il attache à notre alliance. Ce n’est pas tout : elles condamneraient l’Italie à un état de désorganisation dont la conduite de Garibaldi est déjà un symptôme assez manifeste, et qui pourrait se compliquer des plus tristes accidens. Il ne faut pas trop croire aux folies dont Garibaldi nous menace, il ne faut pas non plus les trop mépriser. S’il réalisait son coup de tête contre les États-Romains, nous le battrions assurément, nous le punirions sans doute de son audace ; mais l’effet moral de sa démonstration nous enchaînerait à Rome, et en prolongeant indéfiniment notre occupation, nous deviendrions pour l’Italie une cause permanente de désordre et de faiblesse.

En effet, malgré l’unanimité apparente qui le soutient dans le parlement, malgré la confiance du roi et la faveur de la France, il est visible que le ministère Rattazzi ne possédera point les conditions véritables de la force et de la durée, s’il ne peut bientôt relever son prestige par quelque avantage signalé obtenu dans la question romaine. Nous l’avons déjà montré, ce ministère renonce à un grand levier de popularité en s’abstenant, par égard pour le gouvernement français, de parler, à l’imagination italienne de ce qui l’émeut et la passionne, et de parler à l’opinion publique de l’Europe de ce qui l’intéresse surtout dans les affaires d’Italie. M. Rattazzi a sans doute dans son administration des collaborateurs distingués, pleins de zèle et d’activité. En première ligne, il faut citer le ministre du commerce, M. le marquis Pepoli, le ministre des finances, M. Sella, et notre savant ami M : Matteucci, ministre de l’instruction publique. Il est impossible d’avoir plus d’aimable bonne volonté et plus d’ardeur au travail que M. Pepoli. Nous le signalerons volontiers comme un modèle à nos propres administrateurs, qui depuis deux sessions surtout se font remarquer par une si curieuse indolence. Les projets de loi utiles se sont multipliés sous la féconde élaboration de M. Pepoli : unification des monnaies, loi sur les courtiers et les agens de change, canaux d’irrigation, crédit foncier, le jeune ministre du commerce a rapidement mis la main à toutes les branches de son département. Bien que nous ayons pris la liberté de présenter, à propos de certaines dispositions de son projet de crédit foncier, quelques critiques dont il parait d’ailleurs que le gouvernement italien a compris la justesse, nous devons reconnaître que