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dans l’exercice de son professorat par une interdiction administrative. Il est heureux, qu’on nous permette de le dire, que si la liberté devait être atteinte, ce soit dans la personne de M. Renan qu’elle ait eu à souffrir : en passant par un tel organe, elle peut au moins faire entendre des plaintes dignes d’elle. Tout le monde voudra lire les explications adressées par M. Renan à ses collègues du Collège de France. Il était impossible d’établir avec plus d’élévation et d’autorité dans le langage les droits de l’enseignement libre. Ici revient la nécessité de la séparation du spirituel et du temporel. Seulement c’est contre les empiètemens de l’état s’arrogeant la défense d’une doctrine religieuse qu’il faut protester. Nous le ferons avec les propres paroles de M. Renan : « L’état n’a pas de doctrine particulière, tel est l’axiome fondamental auquel on revient toujours quand on veut fonder dans les matières intellectuelles le droit des individus, c’est-à-dire la liberté. »

E. FORCADE.


ESSAIS ET NOTICES.

Tableau de l’Empire romain depuis la fondation de Rome jusqu’à la fin du gouvernement
impérial en Occident, par M. Amédée Thierry. — Didier, 1862.

Fidèle aux traditions de son illustre frère, M. Amédée Thierry interroge les vaincus. Vaincus d’hier, ils seront sans aucun doute les vainqueurs demain, si leur combat a fait partie de la lutte générale de l’humanité. Or comment en douter pour les peuples qui sont finalement entrés dans la grande unité romaine ? Les historiens anciens les ont fort dédaignés et se sont contentés de raconter le perpétuel triomphe de l’ancienne république aristocratique dont les débris subsistaient encore sous l’empire. En étudiant l’action de Rome sur ces peuples, M. Amédée Thierry a bientôt aperçu dans les vicissitudes de sa vieille constitution l’effet d’une réaction qu’ils exerçaient à leur tour, et il a pressenti là une nouvelle lumière sur la formation de nos sociétés modernes.

On connaît la curieuse légende rapportée dans Plutarque : Romulus, ayant ouvert un asile, fit creuser un fossé dans lequel chacun de ses nouveaux compagnons jeta une poignée de terre apportée du pays d’où il était venu. De même, au Xe siècle de notre ère, les émigrans Scandinaves qui, fuyant la centralisation monarchique et la civilisation chrétienne, allaient fonder en Islande une république pendant quatre cents ans florissante, emportaient sur leur navire un peu de terre norvégienne ou danoise pour édifier leurs nouveaux autels sur le sol sacré de la mère-patrie. Peut-être s’agit-il, dans le récit de Plutarque, d’une fête religieuse se rattachant au mythe du mundus étrusque, qui communiquait par les entrailles de la terre avec le monde souterrain des mânes. Quoi qu’il en soit, on a interprété cette légende (Plutarque lui-même, ce semble) dans le sens d’une allégorie historique que les destinées ultérieures de Rome devaient pleinement justifier. Rome était