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philosophe tient école d’idées générales, soit à l’égard de ce qui est, soit à l’égard de ce qui doit être. Naturaliste, il vous dira les lois qui gouvernent le monde physique ; moraliste, celles qui sont faites pour gouverner les hommes. À ce compte, un peuple où cet esprit domine a des pensées politiques qui ne sont pas pour lui seul, des pensées qui s’adressent au monde entier ; il a un Capitale, un Vatican d’où il parle urbi et orbi, et quelque jour il découvrira les droits de l’homme, tandis qu’ailleurs on ne dépasse pas la notion du privilège, Pour bien juger de ceci, renversez l’hypothèse et supposez un peuple où le droit existe fortement, mais sur une base faite comme une borne : tradition ou convention. Rien de ce droit ne va percer au dehors, car ce droit repose sur des idées qui sont à l’unique usage de ce peuple. Nulle de ces institutions ne peut faire fortune dans le monde, car ces institutions sont taillées pour ce peuple seulement, qui les a tirées de ses précédens et de son génie, particulières comme le besoin, comme le tour d’esprit d’où elles sont nées. Il fera peut-être pour les acquérir ou pour les améliorer des efforts qui peuvent être qualifiés de révolutions, mais sans qu’il y paraisse chez les peuples voisins, sans les émouvoir, sans les entraîner à la poursuite d’un bien dont la séduction n’existe que dans sa pensée propre et nationale. Un peuple ainsi conformé appartient visiblement à certaines religions toutes particulières : « celles du passé, des précédens, des ancêtres, de la coutume. Pour ne rien outrer, et comme il ne peut être question en tout ceci que de plus ou de moins, la raison théorique ne lui est pas étrangère : c’est par là qu’il avance, mais conservant toujours encore plus de choses anciennes qu’il accueille de choses nouvelles. « Il n’y a jamais eu un moment dans la constitution anglaise, dit Macaulay, où l’élément ancien ne l’ait emporté sur l’élément nouveau. »

Burke est entre tous le champion, l’apologiste passionné de cet esprit anglais, avec une énergie et une crudité ravissantes. « La véritable Angleterre, s’écrie-t-il, tous ceux qui ont sur leur tête un bon toit et sur leur dos un bon habit, n’a que de l’aversion et du dédain pour les actes de la révolution française. La seule idée de fabriquer un nouveau gouvernement suffit pour nous remplir de dégoût et d’horreur ; nous avons toujours souhaité dériver du passé tout ce que nous possédons, comme un héritage légué par nos ancêtres. Nos titres ne flottent pas eh l’air, dans l’imagination des philosophes ; ils sont consignés dans la grande charte. Nous réclamons nos franchises, non comme droits des hommes, mais comme droits des hommes de l’Angleterre ; nous méprisons ce verbiage abstrait, qui vide l’homme de toute équité et de tout respect, pour le gonfler de présomption et de théories. Nous n’avons pas été préparés et troussés, comme des oiseaux empaillés dans un muséum, pour