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faire, avec l’imperfection naturelle de ce qu’elle a déjà fait, ne peut donc manquer, quoi qu’elle en ait, d’employer et de déployer l’état ; mais, de son côté, un peuple centraliste, socialiste, ne saurait faire abstraction de l’individu et sacrifier tout à l’état. Il faut être une secte pour abandonner à l’état la production, le sol, le jugement des capacités, la répartition des tâches, ou même, sans aller si loin, certains monopoles tels que les chemins de fer et l’émission de la monnaie de papier. Quand un peuple a une telle idée, un tel souci du droit, qu’il va jusqu’à considérer la société comme un être qui a des droits, est-ce qu’il pourrait négliger les êtres réels et palpables, les individus, qui sont la substance sociale ? Vous verrez au contraire ce peuple compter et respecter comme il faut l’individu, à l’occasion même le restaurer : un détail que vous trouverez tout au long dans la déclaration des droits de l’homme de 91, et qui a passé presque mot pour mot dans toutes nos chartes ultérieures ; mais nos lois criminelles portent entre toutes la marque de ce progrès. Il faut bien croire que la France moderne a retrouvé les titres de l’individu, quand on la voit se purgeant tout ensemble et des tribunaux révolutionnaires et de la justice d’autrefois, qui, pour le dire en passant, leur avait servi de modèle.

Rien ne juge le passé, rien ne classe les régimes comme ceci : les temps nouveaux, à l’heure où ils étaient ivres de périls et de rage, trouvèrent une cruauté suffisante dans le droit commun, dans les procédés réguliers de ce qui osait s’appeler, il y a quatre-vingts ans, justice et magistrature. Le général Houchard fut jugé et condamné absolument comme l’avait été le général comte de Lally-Tollendal trente ans auparavant. Même sans-façon dans les deux cas. 93 n’imagina de mieux que l’ordonnance criminelle de 1667, laquelle, il est vrai, refusait aux accusés un défenseur, un public, la confrontation des témoins, tout enfin excepté la torture. Comment aggraver cette œuvre de Pussort, tellement conçue que, selon la jactance de l’auteur, le procès pouvait être fait et parfait à un accusé dans les vingt-quatre heures ? Une perfection, vous entendez bien, qui était de pendre son homme.

On tient aujourd’hui que l’accusé doit être écouté, défendu, pesé publiquement et contradictoirement avec tout ce qui le charge, la société elle-même intervenant, quand la chose en vaut la peine, par cette délégation qu’on appelle le jury. Voilà en vérité des façons nouvelles où l’on voit clairement que l’individu est estimé à sa valeur, et que la société n’est plus l’absorbant qu’elle était autrefois.

Quant aux droits du citoyen, quant à la liberté politique, rien ne découle plus directement du naturel d’un peuple qui est particulièrement sensible à l’idée du droit. Le moyen en effet de mettre le