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étendre par là l’observance de la loi morale, et ne fait pas nécessairement preuve de servilité.

On ne peut bien juger de tout cela qu’au moyen d’une hypothèse, l’histoire, la réalité manquant. Il faudrait supposer des hommes indépendans et égaux délibérant sur la convenance de se soumettre à un gouvernement. Il est clair que le triomphe du bien serait cette soumission, et que les opinons pour l’affirmative seraient supérieurs en lumières et en vertu aux partisans de la négative. Supposez qu’on se demande aux États-Unis s’il convient de faire des lois sur la propriété, sur la banqueroute, sur les abus de la concurrence, sur la répression et la police des voies de fait. Est-ce que la supériorité morale ne serait pas avec ceux qui encourraient cette sujétion, qui abdiqueraient leur indépendance au profit de la justice et de la vérité, qui voudraient un organe, une force extérieure à l’appui de ce qu’ils ont dans l’âme, de ce qu’ils confessent, tout en le sacrifiant à chaque pas, pour le droit et le bien public ?

Donc il y a question. On peut se demander laquelle est supérieure de la race qui porte en elle une passion d’indépendance, de libre déploiement physique et moral, ou de la race animée d’un goût de justice et de vérité, lequel autorise ou subit volontiers un grand essor de législation et de gouvernement ; l’une où prédomine l’idée du droit poussé jusqu’à l’égoïsme, l’autre avec une telle idée du devoir que l’individu pourrait bien arriver à l’effacement et à l’abdication.

Comme on ne gouverne les hommes que sous une étiquette et même avec un certain fonds de justice, on pourrait dire que la grandeur d’un peuple ne se mesure pas à ses goûts d’indépendance, mais à ses aptitudes gouvernables,… moyennant toutefois qu’il soit son gouvernement à lui-même. Voilà une solution, mais non celle du problème qu’on posait tout à l’heure, car cette solution ajoute à l’essence de la race latine la condition du self government. Or, pour continuer le parallèle entre les deux races dans des termes équitables, il faudrait prendre l’anglo-saxonne à ce degré d’éducation où elle subit toute la plénitude de gouvernement voulue par les nécessités modernes. On se fait trop beau jeu, on commet une naïveté, quand on compare les qualités de la race à laquelle on appartient aux vices de l’autre race, ou plutôt quand on considère l’une dans toute la maturité dont elle est capable, prenant l’autre dans son état de verdeur et de crudité. Le fait est que les races latine et anglo-saxonne sont chacune incomplètes : chacune du moins a des tendances qui, prises au mot et poussées à bout, vont droit à l’excès, à l’abîme.

Êtes-vous de ceux qui ont une objection innée contre toute discipline, contre le gouvernement en général ? Il n’y a pas lieu de triompher. Sachez bien que vous avez là le fonds d’un sauvage, le fonds de ces peuplades qui guerroient comme nous chassons, faisant de