Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/918

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

volontiers la souillure du régime et de l’esprit français. Ceci nous ramène à cette question des pouvoirs locaux, qui n’est pas seulement le prétexte des développemens qu’on vient de voir. Convient-il, dans un pays ainsi fait, d’instituer des pouvoirs locaux quasi-souverains, à grandes attributions ? Rien ne serait plus hasardeux, car le vice de ces pouvoirs est justement celui qui foisonne déjà dans la race, la manie de gouverner outre mesure, la passion de réglementer à l’infini. C’est en effet l’aptitude et le bon plaisir des petits états d’abuser du gouvernement. Une commune livrée à elle-même, c’est une coterie souveraine enfonçant toutes les épingles de sa colère dans la vie de ses ennemis, de ses voisins. Dévote, elle tiendra le juron pour un cas pendable, ainsi que cela s’est vu parmi les puritains du Massachusetts. Envieuse, elle fera des lois somptuaires. Chargée de population, elle fera des règlemens contre le mariage, comme dans tel canton suisse ou dans telle principauté allemande. Industrielle enfin, elle inventera ou plutôt elle a inventé les jurandes et les maîtrises : on sait que ce beau régime est ne dans les communes du moyen âge. Cette tyrannie imposera ou défendra mille petites choses : or la vie journalière en est tissue et composée. Elle aura de plus le pouvoir de se faire obéir dans ce champ clos où chacun vit sous l’œil de chacun. C’est de l’histoire que ceci, même aujourd’hui, même en France, où tantôt un règlement d’octroi, tantôt un arrêté de police municipale est annulé par un ministre, rejeté par un juge. Nos communes s’emportent, même sous l’œil de l’autorité centrale : que feraient-elles donc dans leur force et dans leur liberté ?

Telle est l’essence des pouvoirs locaux ; or la race latine a tout ce qu’il faut pour en abuser, tandis qu’il n’est pas clair qu’elle porte comme un fruit naturel l’ardeur et l’audace des efforts privés, des entreprises individuelles. Dans ces données, l’état se relâchant, on peut prévoir une de ces deux choses, peut-être toutes les deux : inertie chez les individus, faute de stimulant officiel ; excès parmi les autorités locales, faute de surveillance officielle. Encore une fois, ce qu’il nous faut, c’est la liberté politique, c’est-à-dire un gouvernement riche d’attributions, mais national en ses origines et en ses contrôles, où les faiblesses de la race trouvent leur renfort, ses travers leur discipline, ses rares qualités l’exercice politique et administratif, où enfin tout est debout, tout est sauf, y compris l’honneur.


DUPONT-WHITE.