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rayon de tir assez restreint, fort inférieur dans tous les cas à celui où l’artillerie des bâtimens de mer peut faire sentir ses coups sur tout ce qui n’est pas cuirassé. Le rapport entre ces deux rayons, qui représentent l’un la zone dangereuse pour le bâtiment, et l’autre la distance à laquelle il peut nuire à l’ennemi, ce rapport s’est trouvé être à peu près comme 8 est à 1, même dans les expériences ou l’artillerie a montré la plus grande puissance. Le bâtiment cuirassé peut envoyer utilement les boulets de ses canons à une distance huit fois plus grande que celle où il a quelque chose à craindre pour lui-même. Il en résulte qu’une frégate cuirassée qui posséderait une supériorité de vitesse réelle sur tous les bâtimens d’une flotte non cuirassée pourrait non-seulement éviter le combat, si cela lui convenait, mais pourrait aussi, en se maintenant à distance convenable, combattre et détruire tous les navires de cette flotte, si nombreuse qu’elle fût. Il en résulte encore, et ceci n’est pas moins grave, qu’une division de frégates cuirassées, si elle était maîtresse de la mer, pourrait, dans l’état actuel des choses, et en se tenant aux portées requises, ruiner les ouvrages de Cherbourg ou forcer l’entrée de Portsmouth sans courir elle-même de très grands risques. Les plaques de ses cuirasses lui garantiraient presque l’impunité à des distances où elle accablerait ses adversaires ; elle n’aurait à redouter que les coups d’embrasures, ou peut-être encore, jusqu’à un certain point, quelques feux courbes ; mais ce ne sont pas là des chances redoutables.

Ainsi la valeur militaire des bâtimens cuirassés, si nous essayons, de la résumer en ses termes essentiels, s’exprimera d’un côté par le degré de résistance des plaques au canon, et de l’autre par la puissance de l’artillerie, représentée surtout par la puissance de chacune des bouches à feu qui composent l’armement. Le nombre ne vient qu’en seconde ligne. Soit que l’on cherche à développer les propriétés offensives et défensives des bâtimens cuirassés, soit que l’on étudie les moyens de les combattre, ces deux termes, force de résistance et puissance de l’artillerie, dominent la question, et ils sont si étroitement liés entre eux que le meilleur procédé pour obtenir une formule de la valeur d’un bâtiment cuirassé serait peut-être de les multiplier l’un par l’autre, comme, pour calculer l’efficacité d’une charge de cavalerie, on dit qu’il faut multiplier la masse par la vitesse. Dans ce cas, ce serait la somme des qualités défensives de la cuirasse et celle des qualités offensives de l’artillerie qui fourniraient les deux facteurs de l’opération.

Or qu’a-t-on fait, tant en France qu’en Angleterre, pour les porter toutes les deux à leur plus haut point d’expression ? Il n’est pas facile de répondre à cette question. Les deux gouvernemens qui seuls