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Et quand on considère surtout les animaux les plus élevés de la série, la différence des tissus dont ils sont formés, la multiplicité prodigieuse de leurs organes, comment expliquer l’unité qui s’y fait sentir ? Il faut donc admettre quelque chose de plus que des propriétés vitales ; il faut reconnaître une force propre, une identique, qui a formé les organes, qui les conserve, qui les répare. C’est là le principe vital, qui a donné son nom au vitalisme.

Qu’est-ce pourtant que ce principe vital ? Est-il matière ou esprit ? est-il distinct du corps et distinct aussi de l’âme pensante, de l’âme proprement dite ? Barthez ne s’expliquait pas très nettement là-dessus. Fils d’un siècle où la peur de la métaphysique était à l’ordre du jour, et craignant qu’on ne traitât le principe vital d’entité à la Duns Scot, il hésita, il capitula et réduisit son principe à une sorte d’inconnue, x, cause indéterminée des phénomènes vitaux[1]. Ses disciples ont eu plus de bravoure, et ils soutiennent aujourd’hui qu’il y a dans l’homme, outre la matière toujours changeante, deux forces qui persistent, un double dynamisme, comme ils disent : d’abord la force vitale qui préside à la vie organique, et puis au-dessus le sens intime ou l’âme pensante, principe de la vie intellectuelle.

Ce système est spécieux. Maine de Biran et Jouffroy y ont incliné. Son côté faible, c’est l’excès de complication. Trois substances dans l’homme, c’est beaucoup. Ce principe vital, qui n’est ni une âme intelligente ni un corps, est assez difficile à concevoir. Il a le tort de rappeler les archées de Paracelse et de van Helmont, les forces plastiques de Cudworth. Et puis que devient au milieu de cette complication de principes l’unité de l’homme ? On peut voir dans le livre de M. Bouillier le développement très habile, très vif, très spirituel, de ces objections contre le duo-dynamisme de l’école de Montpellier ; mais on a pu voir dans les pages qui précèdent que le système animiste est aussi sujet à bien des difficultés.

Tels sont en substance les cinq systèmes qui se combattent depuis trois siècles, et dont aucun n’est parvenu à ruiner définitivement aucun des quatre autres. Cela ne laisse-t-il pas soupçonner que la question n’est pas résolue ? Aussi le reproche que nous avons adressé aux nouveaux animistes, ce n’est pas que leur système soit plus mauvais que les autres ; mais c’est de nous donner une hypothèse pour une vérité scientifique. Quant à nous, le rôle qui nous paraît le plus philosophique dans cet état de la question, c’est d’abord

  1. Dans ses Elémens de la Science de l’Homme, récemment réimprimés par un digne héritier du nom de Barthez, l’illustre chancelier de la faculté de Montpellier accepte la formule suivante comme une expression exacte de sa doctrine : « La chose qui se trouve dans les êtres vivans et ne se trouve pas dans les morts, nous l’appellerons âme, archée, principe vital, x, y, z, comme les qualités inconnues des géomètres. » (Note 2 du tome Ier de l’édition de 1806).