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rentrée des blés, où le maître, en buvant avec ses ouvriers, les engage à porter une partie de l’argent qu’ils viennent de gagner à la caisse d’épargne ou à la société des amis du peuple, qui achètera pour eux un cottage et un Jardin; tantôt encore la fameuse partie de cricket où l’on se rend de tous les environs, et où des bandes de joueurs, appartenant à des villages différens, se portent des défis. Le jeune fils de M. Mason commande les cricketers de Lynmore, et le pasteur lui-même se mêle avec passion à ce jeu national, qui a quelque rapport avec notre ancien jeu de paume.

En sa qualité de gardien des pauvres, M. Mason est un des administrateurs du workhouse ou maison de travail. Tout le monde sait qu’on appelle ainsi le dépôt de mendicité, dont les dépenses sont couvertes par l’impôt bien connu sous le nom de taxe des pauvres. Il y a un de ces workhouses par huit ou dix paroisses, c’est-à-dire pour une étendue à peu près égale à un de nos cantons; celui de Lynmore répond à une population de 18,000 âmes, répartie sur un territoire de 16,000 hectares. Cinq cents pauvres ont, dans le cours d’une année, profité de cet asile pour un temps plus ou moins prolongé. Cinq cents pauvres sur 18,000 âmes, c’est beaucoup, car ils sont soumis dans ces maisons à un régime très sévère, et il n’y entre guère que des mendians de profession. Le workhouse a distribué en outre des secours à domicile, pendant l’année, à 2,371 indigens. Les frais de cet établissement s’élèvent à 150,000 francs par an, et les 600 maisons de ce genre que renferme l’Angleterre coûtent annuellement 150 millions. Aucune nation ne s’impose un pareil sacrifice.

Après sa visite au workhouse, notre Français va voir le cercle des ouvriers et des laboureurs; on s’y réunit le soir pour lire les journaux de la veille distribués par M. Mason. Il assiste à l’école du soir pour les adultes et y donne lui-même des leçons de français à un petit groupe d’auditeurs volontaires. Il admire avec raison l’institution touchante des écoles du dimanche, sunday schools, où les leçons sont faites gratuitement par des bourgeois, des marchands, des fermiers : on compte en Angleterre 33,000 de ces écoles, que fréquentent 2 millions et demi d’élèves; mais ce qui l’intéresse surtout par plus d’un motif, c’est la part que prennent les femmes à toutes ces bonnes œuvres. Une des filles de M. Mason, miss Mary, le charme par sa charité enthousiaste. La liberté des mœurs anglaises lui permet de l’accompagner dans ses visites aux indigens et aux malades, et il l’aide dans ses efforts pour la création d’une bibliothèque populaire à Lynmore. À ce sujet, il fait le voyage de Londres pour s’entendre avec la Société pour la propagation des bons livres : la famille Mason donne 250 francs; à ce prix, la société fournit une bibliothèque de 300 volumes; le papetier du village accepte les fonctions de bibliothécaire moyennant une indemnité de 75 francs par an, et tous les habitans, en payant 1 shilling par trimestre, jouissent du droit d’abonnement.

Chemin faisant, l’auteur sème quelques épisodes champêtres agréablement racontés. Telle est une partie de pêche sur les bords de la petite rivière qui traverse le parc, telle aussi une visite à la vieille ville de Winchester, capitale du Hampshire, célèbre par sa cathédrale, où sont ensevelis des rois d’Angleterre. Plusieurs personnages peints avec finesse animent le récit et achèvent de montrer dans tous ses détails l’intérieur d’une famille anglaise