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l’Angleterre est en voie de se débarrasser de cette plaie, qu’on lui reproche depuis si longtemps. Je sais que la condition générale des classes ouvrières y est meilleure que chez nous, parce que la nation entière est plus riche et le travail plus productif. Néanmoins, cette supériorité de richesse qui tient toujours à la même cause, l’absence de révolutions, mise de côté, on trouve dans la concentration de la propriété une cause endémique d’indigence pour une portion considérable de la population. Pour réparer cette extrême inégalité, il faut dans la classe privilégiée une libéralité qui n’est point partout aussi nécessaire. Si la nation était moins riche et la bienfaisance moins active, les pauvres seraient plus nombreux et plus malheureux en Angleterre que chez nous, parce que la propriété du sol leur échappe. Il faut bien encore qu’on s’en soit aperçu, puisque des sociétés se sont formées pour acheter des maisons et des jardins aux ouvriers sur leurs épargnes. On vante avec raison les précautions prises pour relever à leurs propres yeux les assistés anglais; mais, pour soutenir la dignité personnelle, rien ne vaut le sentiment de la propriété. Il y aura toujours, quoi qu’on fasse, une grande différence entre recevoir un secours, si bien donné qu’il soit, et n’en avoir pas besoin.

La charité se fait plus savamment en Angleterre, elle ne se fait pas avec plus de dévouement. La charité procède avant tout d’une inspiration religieuse. Je ne veux dire aucun mal du culte protestant, les peuples protestans comptent parmi les plus moraux et les plus libres de l’Europe; mais enfin, quand il s’agit de charité, le culte catholique a fait ses preuves. L’Angleterre n’a rien de supérieur à notre société de Saint-Vincent-de-Paul. Que dire de l’œuvre de Saint-François-Xavier, de la société de Saint-François-Régis, de l’œuvre du Bon-Pasteur, et de tant d’autres? Sans sortir de son pays, l’exilé français aurait pu suivre plus d’une charmante jeune fille au chevet des pauvres malades et s’associer en secret à plus d’une bonne œuvre. Il y a peu de jours que, dans une séance publique de l’Académie française, en présence de l’auditoire le plus brillant et le plus poli du monde entier, une voix éloquente racontait quelques-uns de ces traits de vertu qui s’accomplissent sans nombre dans l’obscurité, et cette fête de la bienfaisance se renouvelle tous les ans.

Dans un livre qui a obtenu un vrai succès, et qui l’a mérité, malgré quelques écarts de langage, les Conseils spirituels pour la belle saison à la Campagne, M. l’abbé Bautain s’adresse en ces termes à tout propriétaire aisé qui habite les champs une partie de l’année : « Vous avez des voisins qui sont plus près de vous que les habitans des châteaux d’alentour; ce sont les gens de votre village, dont plusieurs sont dans l’indigence, et quelques-uns malades, et incapables par l’âge et les infirmités de gagner leur vie. Ceux-là sont votre prochain plus que personne, parce qu’ils souffrent sous vos yeux. Pour aider efficacement vos pauvres, il faut les connaître, et pour les connaître il faut les voir. Il faut aller de temps en temps dans leurs chaumières, et causer avec eux, avec leurs femmes et leurs enfans. Il vous en coûtera peut-être un peu, surtout en commençant, d’aller dans les logemens des pauvres; mais quand vous aurez vaincu la première répugnance, vous y trouverez une grande jouissance, que le monde, avec tous ses plaisirs, ne vous donnera jamais. » Cela même n’est pas toujours néces-