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saire, et quiconque a vécu un pou dans nos campagnes appauvries sait que, pour faire un bien immense autour de soi, il suffit de résider et de donner du travail, pourvu qu’on donne en même temps l’exemple d’une vie honnête et régulière.

Dans la Vie de village en Angleterre, un des interlocuteurs du Français exilé lui dit : « L’Angleterre ne doit sa sécurité qu’aux rapports bienveillans qui existent entre les différentes classes de la société. Pour que ce sentiment subsiste et se fortifie, il faut que la classe élevée ne s’enferme pas dans son égoïsme ; elle aussi a ses devoirs à remplir, qui sont d’aller au-devant des classes ouvrières et de leur tendre une main amie. Si vous alliez au-devant de votre peuple avec un véritable amour, vous en seriez bientôt compris. Du reste, vous n’avez pas de choix à faire, et tout me fait craindre que vous ne soyez placés entre la nécessité de changer complètement vos relations de classe à classe, ou d’être incessamment menacés de convulsions sociales. » Il y a là un conseil et un jugement ; le conseil est excellent, mais le jugement ne me paraît pas aussi sûr. C’est en Angleterre, ce n’est pas en France qu’il peut être nécessaire de changer complètement les relations de classe à classe ; c’est tout au plus si nous avons des classes parmi nous, tant elles se fondent les unes dans les autres par des nuances imperceptibles. Voyez l’armée, qui est l’image de la société : peut-on dire que la distance entre le soldat et l’officier soit la même dans les deux pays ? ne donnons-nous pas dans notre armée le plus grand exemple d’égalité et de fraternité qui soit au monde ? Il faut faire sans doute de nouveaux pas dans cette voie, et encore une fois le conseil est bon, mais ne serait-ce pas à nous de le donner au moins autant que de le recevoir ?

Il est vrai que l’Angleterre vit dans une parfaite sécurité, et que les convulsions sociales n’ont pas cessé de nous étreindre. À qui la faute ? Est-ce à la classe élevée, comme dit M. Norris ? Il faudrait savoir d’abord ce qu’il faut entendre par classe élevée dans un pays de suffrage universel qui ne reconnaît aucune sorte d’aristocratie, et qui envoyait naguère de simples ouvriers siéger dans son assemblée souveraine. Est-ce de la classe riche qu’il s’agit ? Elle a en effet de grands reproches à se faire pour sa passion désordonnée de luxe et de plaisir ; mais elle est si peu nombreuse et la richesse y passe si vite qu’elle compte pour bien peu dans notre société. Le mal le plus profond n’est pas là, il est dans les illusions révolutionnaires qui exaltent beaucoup d’imaginations et dont le bon sens national a préservé nos voisins. Malgré les associations charitables, les excellentes lectures, les écoles du dimanche, les workhouses, bien peu de nos ouvriers aimeraient mieux vivre en Angleterre qu’en France. Pour un exilé imaginaire qui a compris l’Angleterre, combien en est-il qui ne l’ont vue que pour la calomnier ?

Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à apprendre pour nous dans la Vie de village en Angleterre ? Bien loin de là. Nous avons deux grandes maladies sociales, l’esprit révolutionnaire et l’excès de centralisation. L’esprit révolutionnaire ne peut s’user que par le temps, par le sentiment de l’impuissance et de la folie de ses tentatives. À chaque secousse, la richesse publique décroît, et avec elle le bien-être de la population tout entière. Ces expériences portent avec elles leur enseignement. Quant à l’excès de cen-