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tralisation, de réglementation, l’auteur de la Vie de village a touché parfaitement juste. Voilà bien une des principales causes de notre infériorité, et on ne saurait trop nous inviter à y porter remède. Nous n’arriverons jamais au même degré de liberté locale que les Anglais ; mais sans aller précisément jusque-là, ce qui ne serait ni possible ni utile dans les conditions générales de notre société, il y a beaucoup à faire pour renfermer dans de plus justes limites la puissance envahissante de l’état. Nous ôterons ainsi à l’esprit révolutionnaire une de ses plus redoutables armes, et nous travaillerons doublement à notre développement économique et moral.

Que la centralisation diminue donc, et nous verrons fructifier dans nos campagnes bien des germes qui restent aujourd’hui inféconds. On ne demande pas mieux généralement; tous les regards se portent volontiers vers la vie rurale après tant de déceptions et d’agitations stériles. Nous ne sommes pas tout à fait aussi loin des mœurs anglaises que nous le croyons nous-mêmes. Dans celles de nos provinces qui rivalisent de richesse avec l’Angleterre, on pourrait déjà signaler plus d’un village qui ne le cède en rien à l’heureux village de Lynmore, quoiqu’il se compose d’élémens très différens. Seulement ce qui fait en France l’exception est en Angleterre la règle : voilà la proportion qu’il faut changer. Plus nous nous rapprocherons de ces mœurs, plus nous nous sentirons fortifiés. L’auteur aimable et bienveillant de la Vie de village y aura certainement contribué en nous initiant à tous les détails de cette puissante organisation rurale qui fait la force de son pays. Que ce soit son honneur et sa récompense !


L. DE LAVERGNE.




L’ABBE DUBOIS.[1]


Il y aurait dans les annales du monde un chapitre qui pourrait être considérable et qui ne laisserait pas d’être piquant et curieux, ce serait celui des personnages perdus de réputation et des vicissitudes de leur renommée. Ce sont des personnages assez nombreux encore, communs à tous les pays, qui se succèdent par intervalles, semblent résumer les vices de leur temps et laissent un retentissement équivoque. Méritent-ils absolument cette mauvaise renommée qu’ils se sont faite ou qu’on leur a faite? La vérité est que souvent il s’est formé sur eux, dès le premier jour qu’ils sont entrés dans l’histoire, comme un jugement instinctif et sans appel, comme une légende de témoignages contemporains, et à les voir passer dans la galerie humaine, ils semblent en quelque sorte inattaquables dans la singulière majesté de leur mauvaise réputation comme d’autres dans la majesté de leur renom de vertu, si bien que toute tentative pour changer l’opinion en leur faveur, pour relever leur nom, paraît toujours une ironie ou une fantaisie paradoxale. Il a été donné à notre temps. d’essayer de ces réhabilitations qui ne sont pas toujours sérieuses, mais qui naissent aussi quelquefois d’une étude plus approfondie, d’un sentiment tardif de justice ou d’une vue plus éclairée, plus libre, du mouvement des choses et des hommes. Une des réhabilitations les plus difficiles en France est assurément celle du

  1. L’Abbé Dubois, premier ministre de Louis XV, d’après des papiers inédits, par M. le comte de Seilhac, 2 vol. in-8o, chez Amyot, 1862.