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À ce point de vue, les ruines impériales excitent la curiosité et la réflexion, et sous le faix des ans qui les ont vieillies et désarmées elles ne réveillent plus ces pensées de haine qui naissent en présence des monumens de la tyrannie. Le temps d’ailleurs, qui émousse toutes choses, comme il rend les pierres moins anguleuses, ôte aux souvenirs leur pointe acérée. On contemple sans amertume ces champs de débris couverts de lierre, de mousse, de fleurs sauvages et d’arbustes d’un vert éternel. C’est quelque chose de la végétation des montagnes étendue comme un vêtement rustique sur les ruines de la magnificence des hommes. C’est la nature qui rajeunit sans cesse près de ces monumens de l’histoire, qui vont toujours vieillissant, jusqu’à ce qu’ils tombent en poussière.


V

Dans notre exploration topographique de l’ancienne Rome, nous ne sommes point sorti des environs du Capitole et du Forum, et il ne nous resterait pas beaucoup à faire pour achever la revue de ceux des monumens anciens qui sont encore debout, ou dont les ruines sont autre chose qu’un dessin tracé par des restes de fondations à fleur de terre. Le Panthéon, la voie Appienne, la basilique et la colonne de Trajan, les colonnes du temple de Neptune, les temples pseudonymes de Minerva Medica et de Vesta, voilà à peu près tout ce qui frappe les yeux ; le reste a besoin de trop d’étude, et ne se recommande guère qu’à l’érudition. On peut trouver que, cherchant surtout l’intérêt historique, nous avons un peu oublié d’admirer. L’admiration en ce genre n’est due, ce nous semble, qu’à la beauté, et le beau est toujours rare, parce que le beau est difficile, comme le répétait Socrate. L’antiquité comprend à Rome depuis le mur carré du Palatin, ou plutôt la cloaca maxima, jusqu’à la colonne de Phocas. Cela ne fait pas moins de douze cent cinquante ans. Des richesses comprises entre ces deux termes extrêmes, il n’en est aucune qui ne soit digne d’attention et de curiosité, aucune qui ne fasse naître ce sentiment bien connu qui peut s’appeler le respect archaïque, une des formes de cette vénération du lointain dont les anciens ont parlé. Une arme, un meuble, un outil quelconque, un fragment marqué du travail de l’homme cesse d’être indifférent dès qu’on le retire de la terre, couvert de la rouille du temps, et un grain de blé âgé de quatre mille ans trouvé dans la tombe d’une momie égyptienne ne paraît pas méprisable. Combien s’accroît encore pour l’imagination le prix de ces épaves des siècles lorsqu’elles rappellent des souvenirs pleins de grandeur ! et quels plus grands souvenirs que ceux de Rome ? Mais ce que la mémoire