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souverain, à l’intervention du roi George ? « Non, non, disait le loyal hussite, jamais l’homme que j’ai sauvé ne se fera l’exécuteur des vengeances du pape. » Qu’on juge de sa douleur lorsqu’une dépêche du prince Victorin lui annonça que l’armée hongroise, commandée par Mathias Corvin en personne, s’avançait, enseignes déployées, pour exterminer les hérétiques de Bohême.


IV

Cette guerre en effet, provoquée par les clameurs de Paul II et entreprise par un homme tel que Mathias Corvin, devait être une guerre d’extermination. La Hongrie a trop vanté le fils du grand Hunyade. Ses luttes contre les Turcs, ses victoires sur l’empereur, sa conquête de l’Autriche, le chef des Magyars trônant à Vienne dans le palais de Frédéric III et y terminant en paix sa carrière, ce rude soldat devenu le protecteur des arts, des lettres, des sciences, ce second Attila rêvant le rôle d’un Charlemagne dans l’Europe. orientale, toutes ces choses ont ébloui longtemps les imaginations, et il s’est formé sur Mathias Corvin une légende dont l’histoire a grand’peine à déchirer les voiles. Au fond, malgré son amour de la gloire, c’était un barbare avec les vices de la civilisation. Appelons-le un autre Attila, puisqu’il l’a voulu lui-même, mais ajoutons que cet Attila joignait le fanatisme d’un inquisiteur à la férocité du sauvage. Les documens nouveaux mis au jour par l’historien de la Bohême ne laissent aucun doute sur ce point. Dira-t-on que M. Palacky est suspect ? M. Palacky cite les faits et laisse au lecteur le soin de les apprécier. Interrogeons d’ailleurs les Allemands ; entre les Tchèques et les Magyars, les écrivains de la Saxe et de la Prusse sont des juges désintéressés. M. Wilhelm Jordan et M. Clément Brockhaus, le premier dans son livre sur George de Podiebrad, le second dans l’étude excellente qu’il a consacrée à Grégoire de Heimbourg, ont flétri sans hésiter le fanatisme de Mathias Corvin. L’incorruptible histoire, à mesure qu’elle pénètre les secrets de l’Europe orientale, commence à démasquer ce faux grand homme. Tous ceux qui ont éclairci de nos jours une partie de ces arcanes ont rencontré sur leur route l’odieux Mathias Corvin frappant autour de lui les meilleurs soldats de la chrétienté, les plus héroïques adversaires des Turcs. C’est ainsi que M. Edgar Quinet, dans ses belles études sur les Roumains, nous montre le grand chef moldave, saint Etienne le Bon, obligé de disputer le sol de sa patrie à l’ambition du roi magyar, à l’époque même où il défend si énergiquement la ligne du Danube contre les bandes furieuses de Mahomet II[1].

  1. Ces études ont paru ici même. Voyez les Roumains, par M. Edgar Quinet, dans les livraisons du 15 janvier et du 1er mars 1856.