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parut une complication funeste dans une situation déjà si périlleuse, et il résolut de sévir contre les perturbateurs. Un grand nombre d’entre eux furent jetés en prison, Le roi cependant ne tarda pas à s’apercevoir que c’étaient de nobles âmes, des âmes altérées de Dieu, et il essaya de les ramener à l’église nationale, au lieu de les aliéner à jamais par la violence. Au mois d’avril et de mai 1468, les prédications et l’emprisonnement des frères de l’unité ayant produit une vive agitation parmi le peuple, le roi convoqua dans la ville de Beneschau une sorte de concile hussite chargé de pacifier les esprits et de rétablir la concorde religieuse. Déjà les membres de ce concile, prêtres et laïques, avaient répondu à l’appel, déjà on délibérait sur les moyens de détourner l’effervescence mystique des sectaires, quand tout à coup arrive une lettre du roi, ordonnant de laisser là ces questions et de courir aux armes pour la défense de la patrie et de la foi, car un danger les menaçait, le plus grand, le plus terrible danger qui eût jamais éclaté sur la Bohême. Ce même cri : aux armes ! la patrie est en danger ! Retentit en quelques jours aux deux extrémités du royaume.

Que se passait-il ? quel était ce danger ? sur quel point venait de fondre l’orage ? Le pape, on l’a déjà vu, avait longtemps et inutilement cherché un chef pour sa croisade, un chef assez hardi pour exécuter la sentence du saint-siège, assez fort pour détrôner le roi George et s’asseoir à sa place. Ni l’empereur Frédéric III, ni le roi de Pologne, ni aucun des princes allemands n’avait voulu accepter cette mission. La ligue des barons catholiques venait de l’offrir au duc de Bourgogne, à celui que dévoraient de si vastes pensées et que l’Europe appellera bientôt Charles le Téméraire ; tout entier à sa lutte avec le roi de France, le duc de Bourgogne a dû ajourner ses desseins sur l’empire. Mathias Corvin, il est vrai, dès la rupture du roi George avec la cour de Rome, avait sollicité l’honneur de porter les premiers coups à celui qui avait été son bienfaiteur et son père ; mais son offre à cette date était prématurée, et depuis qu’on avait eu recours à ses armes, ses guerres avec les Turcs ou les Roumains ne lui permettaient plus de songer à la Bohême. Le roi George était donc parfaitement rassuré ; il ne croyait même pas aux projets ambitieux que la voix publique prêtait au chef des Magyars. Était-ce bien au fils de Jean Hunyade de faire cause commune avec l’empereur contre les Bohémiens ? était-ce à l’adversaire des Ottomans de démanteler le boulevard de l’Europe ? D’ailleurs ce soldat de la chrétienté, ce fils du glorieux Hunyade, c’était aussi le fils du roi de Bohême ; la fille de Podiebrad s’était assise avec le jeune Magyar sur le trône de Hongrie. La mort de la reine avait-elle donc rompu tous les liens entre le gendre et le beau-père ? Mathias Corvin pouvait-il ne plus se souvenir qu’il devait la liberté, la vie, le pouvoir