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bataille décisive et suprême, qui mît fin à cette épouvantable guerre, qui arrêtât cette lente extermination d’un peuple. Mathias Corvin ne répondit que par des outrages et n’accepta ni le duel ni la bataille. Retranché aux environs de Brunn, dans les montagnes de Moravie, il ne songeait qu’à lancer partout ses pillards, et il eût pu continuer longtemps ses féroces incursions, si un incident imprévu n’eût terminé tout à coup la lutte par une scène à jamais mémorable.

Le roi George, n’ayant pu attirer Mathias hors de ses retranchemens, se dirigea au nord vers la Silésie. Était-ce une feinte ? On ne sait ; en tout cas, le piège était bien tendu, car l’armée royale s’éloignait à grands pas du principal théâtre des hostilités et semblait laisser la Bohême à découvert. Voyant cela, Mathias Corvin pense qu’il aura le temps de frapper un grand coups sur la ville de Prague. Il quitte son campement de Moravie et fait irruption en Bohême. Ce fut alors qu’on admira la prévoyance du roi, la force et la fécondité de ses instructions. Cette landwehr organisée depuis quelques mois se trouva sur pied au premier péril. En quelques jours, une armée fut réunie dans les murs de Prague. La reine Jeanne monte à cheval, et tout ce peuple la salue de ses acclamations ; chacun est impatient de se battre. En même temps le roi, informé des projets de l’ennemi, revient à marches forcées. Ses courriers, qui le devancent, ont déjà porté ses ordres sur tous les points de la landwher : « Les Hongrois vont se trouver pris entre deux feux, Qu’on creuse partout des tranchées, qu’on ouvre des fondrières pour arrêter la cavalerie magyare ; l’infanterie de la landwher en aura bon marché. » Mathias Corvin devine le péril ; il a peur de cette nation qui se lève altérée de vengeance, et qui se prépare à l’immoler comme on immole un criminel ; il a peur de George, qui menace de lui couper la retraite. Entre la ville hérissée de défenseurs sans nombre et l’armée du roi toute prête à l’envelopper, il craint de ne pas trouver d’issue. Il part donc aussi rapidement qu’il est venu ; il part, fuit de toute la vitesse de ses chevaux et laisse sur la route une partie de ses hussards, qui, exténués de fatigue ou précipités dans les fondrières, tombent sous les coups du paysan : terrible revanche de tant de férocités commises en des embuscades ténébreuses ! Cette victoire gagnée sans coup férir était le digne couronnement des opérations du roi George. Ce chef si noble, si humain, grand surtout par la prévoyance politique et la sagesse de ses lois, méritait de terminer la guerre sans tirer l’épée et de mettre l’ennemi en déroute par la seule efficacité de ses institutions civiles et militaires.

Tant d’activité, de sagesse, de courage, de vertus royales, tant d’épreuves si héroïquement souffertes et si glorieusement terminées devaient finir par désarmer les ennemis du roi George. Déjà, dans les derniers mois de la guerre, au moment où les cruautés de Mathias