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Corvin désolaient toutes les contrées de la Bohême, où les Hongrois ne respectaient pas plus les catholiques que les hussites, où les églises et les couvens étaient la proie des pillards aussi bien que les villages du peuple tchèque, on avait vu les deux légats du pape s’accuser eux-mêmes de ces horreurs et en demander pardon à Dieu. Ces plaintes, ces cris avaient retenti jusqu’à Rome. On assure que Paul II commençait à éprouver des remords. Le plus inflexible des ennemis du roi de Bohême, le plus redoutable de tous par les vertus sévères qui se mêlaient chez lui à un fanatisme outré, le cardinal Carvajal, venait de mourir (1470). Un autre membre du sacré collège, dont l’histoire malheureusement n’a pas conservé le nom, avait osé prendre la défense de George dans les conseils du pape. George, vivement ému, s’était empressé de l’en remercier en le suppliant de poursuivre son œuvre et d’obtenir le rappel d’une sentence inique. Enfin de tous, côtés, chez les barons de la ligue et parmi les populations catholiques, en Silésie, en Moravie, à Rome même, une réaction éclatait, favorable au roi de Bohême et hostile à l’arrogant Magyar. Les catholiques ne voulaient plus d’un défenseur tel que Mathias Corvin, et lui-même, obligé bientôt de repousser une nouvelle invasion de Mahomet II, ne se souciait plus de recommencer une guerre où il sentait bien qu’il n’avait moissonné que de la honte. Un rayon de l’éternelle justice semblait dissiper les ténèbres des passions. Sur ce théâtre si longtemps désolé, la figure de George de Podiebrad reprenait son éclat, tandis que la situation de Mathias Corvin s’assombrissait d’heure en heure. On admirait ce roi qui, au milieu des plus tragiques infortunes, n’avait cessé de remplir les devoirs sacrés de sa charge, toujours juste, toujours dévoué au bien public. « Que me faisaient et l’aigle impériale, et les menaces de Rome, et les violences du Magyar ? Le monde avait beau me maudire, j’ai toujours vécu en roi. »

Nil aquilœ, nil Roma minax, nil arma valebant
Pannonis ; invito sceptra vel orbe tuli.

Ces vers qu’un poète du XVIe siècle mettait dans la bouche du roi George résument nettement l’opinion qui commençait à se former dans l’empire sur le généreux modérateur de la révolution de Bohême. On était ému de ses malheurs et de sa gloire ; la sympathie succédait à la haine. Peut-être allait-il recueillir le fruit de ses prodigieux labeurs. « La Providence en décida autrement, s’écrie M. Palacky ; au moment où le héros, après avoir épuisé le calice d’amertume, entrevoyait l’aurore des jours heureux, elle le retira de la scène qu’il avait si vaillamment occupée. Dieu ne lui avait pas assigné ici-bas le rôle d’un roi vainqueur et triomphant ; il fallait qu’il restât dans notre histoire comme l’image du roi martyr. »