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grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. Vous ne pouvez donc pas, sans vous mettre en contradiction avec vous-même, condamner ceux qui saluent de loin cette unité, comme vous le disiez, et qui essaient, suivant leurs forces, de pénétrer des mystères si redoutables sans doute, mais tout à la fois si consolans pour vous. » Et plus loin : « Quant aux manifestations futures, j’ai mille raisons pour m’y attendre, tandis que vous n’en avez pas une pour me prouver le contraire. L’Hébreu qui accomplissait la loi n’était-il pas en sûreté de conscience ? Je vous citerais, s’il le fallait, je ne sais combien de passages de la Bible qui promettent au sacrifice judaïque et au trône de David une durée égale à celle du soleil. Le Juif qui s’en tenait à l’écorce avait toute raison, jusqu’à l’événement, de croire au règne temporel du Messie. Il se trompait néanmoins, comme on le vit depuis ; mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes ?… »

Ces paroles, quand on les relit aujourd’hui, prennent une signification extraordinaire. L’unité dont parle ici Joseph de Maistre, ce ne peut pas être évidemment l’étouffante unité qui comprime l’esprit de chaque nation ; c’est l’unité vivante et libre qui admettrait la variété des formes et qui prouverait l’immortelle fécondité du christianisme. Telle était la société chrétienne que George de Podiebrad semblait appeler de ses vœux. Quand les siècles à venir auront résolu ces périlleuses questions, ceux qui liront l’histoire de la Bohême au XVe siècle ne seront pas seulement frappés de la grandeur du drame politique, ils admireront surtout les idées naïvement audacieuses et les sublimes pressentimens du roi George.

On demandera sans doute ce qu’est devenue la Bohême après la mort de George de Podiebrad. Il est consolant de penser que tant de douloureux labeurs n’ont pas été accomplis en vain. Les suprêmes résolutions du roi furent sanctionnées par la nation et par l’Europe ; Wratislas, fils du roi de Pologne Casimir, devint roi de Bohême, et ces compactats pour lesquels on se battait depuis plus de trente ans, restèrent la loi fondamentale du royaume, Paul II abandonna cette guerre impie. Si la Bohême succomba plus tard, ce ne fut pas sous les coups du saint-siège. Après le prodigieux accroissement de la maison d’Autriche au XVIe siècle, l’autonomie des Tchèques était condamnée à disparaître ; mais, tant qu’il y eut une Bohême indépendante, les Tchèques ont recueilli le fruit de la politique de George de Podiebrad.


SAINT-RENE TAILLANDIER.