Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il aurait pu tout à son aise écrémer, prélever, et même accaparer tant qu’il aurait voulu, sans nous causer la moindre peine ! A défaut de cette consolation, il est vrai qu’on en invente une autre. On nous dit que si ces trois séries ne sont pas riches en chefs-d’œuvre à proprement parler, ceux qui s’en aperçoivent ont grand tort de se plaindre ; que c’est ne pas comprendre l’esprit, le caractère, l’intérêt de cette collection ; que son véritable but est d’enseigner l’histoire de l’art, et que dans ces trois séries notamment » on apprendra ce qu’a été en Italie l’art de la majolique ou de la faïence, depuis les premiers emprunts faits aux Arabes en Sicile jusqu’à la fin du XVIIe siècle, et que de plus on y suivra l’histoire non interrompue, des progrès et de la décadence de la peinture italienne depuis les Byzantins jusqu’aux Carraches, sans compter quelques spécimens de la statuaire italienne, depuis Donatello jusqu’à Michel-Ange. »

Si dans ces trois séries on apprend en effet tout cela, elles sont alors le musée des musées, et les chefs-d’œuvre ne servent plus à rien. Étrange prétention que d’enseigner l’histoire de l’art à coups de médiocrités ! de dire aux gens : Vous parcourez ces grandes salles d’un air distrait et ennuyé, c’est vrai, vous n’avez pas à admirer grand’chose, mais vous prenez une bonne leçon ! — Quelle leçon ? Que leur apprenez-vous ? La leçon n’est bonne, selon nous, qu’à leur faire désapprendre le peu qu’ils savent déjà, s’ils ont vu quelques œuvres de maîtres. Ce que vous leur donnez est un grimoire qui les embrouille au lieu de les guider, et où les plus habiles ne trouvent pas leur route. Point de chronologie de l’art sans grands jalons, sans points fixes qui permettent de s’orienter. Avant tout, des chefs-d’œuvre, les chefs-d’œuvre de chaque époque, puis dans les rangs secondaires des œuvres d’une authenticité certaine. Or vous ne nous offrez ni l’un ni l’autre de ces moyens d’étude. Des chefs-d’œuvre, vous n’en avez pas, et quant aux œuvres honnêtes, sans flamme et sans noblesse, que vous étalez par centaines, les unes sont classées au hasard, attribuées, sans qu’on sache pourquoi, à telle ou telle époque, à tel ou tel artiste. Or que conclure, et comment raisonner sur des attributions douteuses ? Les autres ont des dates ou des auteurs certains ; mais leur authenticité même devient parfois une chance d’erreur, une cause de trouble et de complication. Expliquons-nous par un exemple. Voyez cette Madone cataloguée sous le n° 90 : ce n’est pas seulement une vierge archaïque, c’est de la peinture barbare, une œuvre humiliante pour l’époque qui l’a vue naître. Pourquoi donc est-il là, ce tableau ? Parce qu’il est daté, parce qu’il porte le millésime,1454, évidemment contemporain de la peinture elle-même, précieuse aubaine pour une collection