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L’opinion publique ayant été habilement placée à ce point de vue, on examina sans trop d’émotion le plan financier dont l’exposé budgétaire de M. Chase n’était que la préface. Dans les emprunts par souscription, dont le système a été inauguré chez nous avec un succès si merveilleux, le gouvernement prend son temps pour opérer. Disposant d’un gros budget et du mécanisme de la dette flottante, soutenu et guidé par toutes les puissances financières, il proportionne les appels de fonds aux aptitudes dont il est exactement averti. Aux États-Unis, on était sous l’urgence la plus impérieuse. Il fallait battre monnaie immédiatement, incessamment, et pour des sommes colossales. Le seul procédé applicable était des émissions de papiers destinés à entrer d’autorité dans la circulation. M. Chase proposa deux combinaisons ; la première était de créer, sous la garantie de l’état, un papier-monnaie à cours forcé qui aurait fait disparaître devant lui, au moyen d’un impôt, les billets et mandats des banques particulières, et serait devenu le seul instrument des échanges. Ce système, qui a le tort de rappeler beaucoup trop nos assignats, aurait tué les banques par la paralysie. La seconde proposition tendait au contraire à leur communiquer une vitalité excessive : elle met les finances de l’état sous la protection des banques particulières ; elle marie pour ainsi dire les opérations du trésor avec celles du commerce. Les établissemens de crédit deviennent les ressorts de la politique nationale. S’il y a là des périls pour les capitalistes, ils sont du moins glorieux et lucratifs. Dire que cette seconde combinaison a été préférée, ce serait rester au-dessous de la vérité : elle a reçu une adhésion sympathique. Un système financier accepté à la fois par les capitalistes et par la nation, c’est une grande force.


III. — LES EMPRUNTS ET LES IMPÔTS.

L’idéal de M. Chase, approuvé par la corporation des banquiers et sanctionné par le congrès fédéral, consiste donc à créer un instrument de circulation (circulating medium), en introduisant dans les affaires un papier d’état destiné à jouer le rôle des billets de banque, et peut-être à remplacer ceux-ci par la suite. L’émission en doit être modérée de manière à ne pas chasser du marché la monnaie métallique : on espérait d’abord pouvoir la restreindre à 750 millions de francs, en évitant de faire descendre les coupures au-dessous de 25 francs ; mais, dans la pratique, on a été bientôt poussé à sortir de ces limites[1]. Ces bons de circulation ont cours

  1. Il y a eu une certaine catégorie de bons, montant à 300 millions de francs, qui, étant admissibles pour le paiement des droits de douanes, ont bientôt fait prime. On les a considérés comme sortis de la circulation usuelle, et on les a remplacés par une émission de pareille somme non valable pour les douanes.