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bouffe. Vient ensuite un air très vif et très mouvementé de Zerbine, qui joue avec le muet Scapin une scène de coquetterie pour exciter la jalousie de Pandolfe. Le duo dialogué entre Zerbine et Pandolfe est vraiment charmant, d’une grande vérité scénique, et il renferme des passages qui indiquent un art bien supérieur à celui de Monsigny et de Grétry. L’a parte où Pandolfe s’avoue tout bas à lui-même que Zerbine lui plaît, cette progression chromatique, — Sur mon âme, elle me tente, — est la marque d’un maître qui a été élevé à bonne école. On peut en dire autant de l’air de Zerbine, dont le rhythme syncopé est une forme favorite de Pergolèse, qui l’a beaucoup employée dans son Stabat. Cet air ne vaut pas cependant celui qui vient ensuite, en sol majeur, — Charmant espoir, — dans lequel Zerbine s’abandonne à la joie de se voir bientôt la femme de son maître. C’est un air léger, un morceau de bravoure parfaitement en situation, plein de brio, et qui a servi de type à tous les morceaux de ce genre qu’on trouve dans l’ancien répertoire de l’Opéra-Comique. J’insiste aussi sur le récitatif obligé et tout à fait remarquable où Zerbine, certaine maintenant d’avoir touché le cœur de son maître, lui exprime avec dignité les sentimens tendres et honorables qu’elle éprouve pour lui. Il y a dans cette scène variée un accent qui dépasse peut-être le genre de l’opéra bouffe. On sent que le génie de Pergolèse n’est pas encore entièrement dégagé des formes vagues et pompeuses de la cantate et de l’oratorio, qui ont été les premiers essais de la musique dramatique, et que les élémens du style propre au genre familier de la comédie ne sont pas encore suffisamment élaborés. Tel est aussi relativement le défaut du récitatif qui précède le dernier air que chante Pandolfe : il est trop pompeux pour le caractère du personnage et le sentiment qu’il doit exprimer. La pièce se termine par un petit duo dialogué très agréable et encore très frais.

Je ne sais quelles sont les modifications que les nouveaux arrangeurs ont apportées à la partition de Pergolèse. Une ouverture a été ajoutée à cet intermède plus que centenaire, et c’est M. Gevaërt qui l’a écrite sur un motif emprunté à une sonate de Domenico Scarlatti, contemporain de Pergolèse. Quoi qu’il en soit de l’arrangement nouveau et de l’exécution que je ne puis encore apprécier, c’est un événement de bon augure que la reprise, en plein XIXe siècle et en face de l’auteur d’il Barbier, di Siviglia, du premier opéra bouffe que l’Italie ait applaudi. La Serva padrona est encore aujourd’hui un petit chef-d’œuvre de grâce et de vérité, et l’art qui s’y manifeste est bien supérieur à celui des charmans musiciens français qui se sont inspirés de l’œuvre de Pergolèse. Ce doux et mélancolique génie, qui, ainsi que Raphaël et Mozart, est mort dans la fleur de son âge, n’a pu, en abordant et en créant presque le genre de la comédie lyrique, se dégager entièrement de cette noble et vague mélopée qui a été l’origine de l’opéra. On trouve dans la Serva padrona des éclats de style qui font un peu disparate avec la qualité des personnages et la nature des sentimens qu’ils expriment ; on dirait d’un enfant bien doué qui mêle à son gentil babil quelques mots sonores et pompeux sans trop savoir ce qu’ils signifient. C’est qu’en effet la musique dramatique était encore dans l’enfance » du temps de Pergolèse, et ce n’est pas à l’origine des langues et des littératures qu’il faut chercher la division des genres et la propriété savante des styles. Seize ans après la Serva