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Ces trois confiances se trouvèrent successivement vaines. Indiquons l’un après l’autre ces trois échecs de la politique française.

Je commence par le dernier : on croyait que la Russie ne consentirait jamais à renoncer au protectorat exclusif qu’elle s’était assuré sur la Turquie par le traité d’Unkiar-Skelessi. On ne savait pas à Paris ce que c’est que la vanité dépitée d’un despote. Le tsar Nicolas avait ce genre de dépit contre la monarchie de 1830, et il était capable de tout pour procurer à cette monarchie des déboires et des échecs. La politique de la Russie à Constantinople était d’être le premier ami ou le premier ennemi de la Turquie, le premier enfin en bien ou en mal. L’empereur Nicolas abdiqua cette prépondérance dès qu’il vit jour à se réconcilier avec l’Angleterre contre la France de 1830. Il n’y gagna rien que le plaisir d’avoir irrité et inquiété momentanément la France, car ce traité du 15 juillet 1840 ne profita qu’à l’Angleterre, puisque c’est elle qui, avec la coopération de l’Autriche, décida et régla tout en Orient, sans que la Russie s’en mêlât. Cette puissance assista tranquillement aux succès de l’Angleterre, qui du même coup restreignit l’essor de la Russie en Orient et contint la France dans ses espérances sur la Méditerranée, ce qui est toute la politique anglaise. La Russie avait espéré que le traité du 15 juillet 1840 allait être le germe d’une coalition antifrançaise, et c’est à cette pensée, qui flattait les passions de l’empereur Nicolas, qu’elle avait sacrifié sa prépondérance en Orient. L’Angleterre ne demandait au traité du 15 juillet 1840 que le succès de la coalition anti-égyptienne ; elle l’obtint. Les deux vaincues de ce traité furent donc la France et la Russie, la France avec un éclat qu’elle augmenta par le bruit de son dépit, et je n’en fais pas un reproche au ministère de M. Thiers. « Le seul moyen de n’être pas humilié d’un échec de ce genre, disait éloquemment M. de Rémusat dans une lettre à M. Guizot, est de s’en montrer offensé[1]. » Quant à la Russie, elle ne fut pas moins vaincue que la France, et elle le fut plus parce qu’elle se dupa elle-même par ses passions, et qu’elle perdit beaucoup en Orient, sans rien gagner en Europe contre la France.

Ce qui causa le premier désappointement de la France fut d’avoir trop cru à la politique d’intérêt de la Russie, et pas assez à sa politique de passion. Le second échec fut de trop croire à l’obstination et à l’énergie du pacha d’Égypte. Il céda peut-être trop à ses intérêts, comme la Russie avait trop cédé à ses passions. dès qu’il comprit qu’avec le traité du 15 juillet 1840 il ne pouvait plus avoir que l’Égypte héréditaire, il se résigna. Peut-être était-ce pour lui la meilleure politique à suivre. Il savait ce qu’il pouvait et ce qu’il ne

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