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Orient : il n’est point sur la politique extérieure, il est sur la politique intérieure. C’est sur la conduite du gouvernement en France que s’est élevée la querelle, et non pas sur la conduite des affaires d’Orient : nous reviendrons sur cette querelle intérieure et nous en dirons un mot ; il faut cependant, avant d’arriver à ce point, indiquer la seule discordance que j’aie trouvée sur la question orientale entre M. Thiers et M. Guizot.

Le 27 juillet 1839, quand, après la défaite de Nézib et la défection de la flotte ottomane, la Turquie était aux abois et près de traiter à tout risque avec le pacha d’Égypte, l’Europe était intervenue pour prendre la direction de l’affaire. Les ambassadeurs des cinq grandes puissances avaient déclaré à la Porte que « l’accord sur la question d’Orient était assuré entre les cinq grandes puissances, » et l’avaient engagée « à suspendre toute détermination définitive sans leur concours, en attendant l’effet de l’intérêt qu’elles lui portaient. » Je me souviens que j’étais à Constantinople quand cette déclaration fut faite, et que je restai ébahi en la lisant. Quoi ! l’accord entre les cinq grandes puissances sur la question d’Orient était assuré ! Par quel prodige soudain ? Sur quoi portait cet accord ? Qu’est-ce que l’Europe voulait céder ou refuser au vainqueur de Nézib ? S’était-elle entendue sur ces concessions ? — Mais vous voyez bien qu’avec cette déclaration, me disait-on, nous empêchons la Russie d’arriver à Constantinople pour protéger le sultan.

M. le prince de Joinville, qui était en ce moment à Vourla, dans le golfe de Smyrne, croyait, avec son esprit de sagacité et de décision habituel, qu’une flotte française et anglaise passant les Dardanelles et jetant l’ancre devant Constantinople était une meilleure garantie contre la protection de la Russie, et une protection moins difficultueuse que cette note collective. On disait aussi alors que cette note collective avait été proposée par la France, qui l’avait préférée à l’entrée de la flotte dans les Dardanelles, et cela par ménagement pour la Russie, qui ne nous le rendait pas. Il était facile de prévoir que cet accord prétendu tournerait contre nous, qui, des cinq puissances, étions la plus égyptienne, tandis que toutes les autres étaient hostiles ou indifférentes à l’Égypte. Pourquoi créer une conférence tout exprès pour nous y trouver en minorité ? Pourquoi bâtir un mur pour aller s’y casser la tête ? M. Thiers, dans son discours du 13 janvier 1840, avait fort blâmé la note du 27 juillet 1839, et c’était, je crois, avec raison. Il fallait laisser l’Orient arranger lui-même ses affaires et ne s’occuper à Constantinople que d’une seule chose, c’est-à-dire empêcher les Russes d’entrer à Constantinople comme protecteurs. C’était là le seul péril européen ; tout le reste était un péril oriental, qui ne regardait pas l’Europe. En évoquant la querelle du sultan et du pacha devant elle et en se chargeant de