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membre de l’opposition, qui envisage non-seulement l’objet, mais les motifs de l’enquête, à un tout autre point de vue. Si de ce débat quelque influence préjudicielle devait ressortir, ce ne serait jamais que celle de la représentation officielle de la nation. En France, le ministre qui provoque l’enquête agit comme organe du gouvernement. Il adresse un rapport au souverain, où il expose les questions qu’il veut soumettre à une discussion publique. Sans craindre aucune dissidence, il les pose comme il l’entend, et trace, s’il lui convient, un programme dont la rédaction habilement calculée doit conduire infailliblement au triomphe de sa propre opinion. Enfin le comité anglais, délégation de la représentation nationale, est complètement libre dans ses moyens d’investigation : rien ne limite ses recherches. Il reçoit directement les pétitions, les mémoires des personnes intéressées ; il appelle ou accueille tout individu en état de l’éclairer ou de lui fournir d’utiles renseignemens. Aucun de ses membres ne siège dans son sein en qualité de ministre toujours prêt à redresser les allégations supposées inexactes, ou à rectifier, au risque de troubler les déposans, les appréciations plus ou moins fondées qu’ils peuvent faire des actes du gouvernement. Il transmet au parlement, au moyen de communications successives et sous le titre de rapport, les dépositions qu’il a reçues. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, ces rapports ne sont que des procès-verbaux détaillés des séances du comité et non un résumé destiné à formuler en conclusions le résultat de l’enquête. Le comité laisse au gouvernement le soin de puiser dans ces documens la justification des réformes qu’il propose et au parlement celui d’y trouver les élémens de son contrôle. En France, le conseil supérieur, présidé par M. le ministre du commerce, n’a d’action sur la marche de l’enquête que par les questions qu’il pose. C’est l’administration qui arrête le programme de ses travaux. C’est elle qui convoque les personnes qui doivent être entendues ; c’est elle qui tient et rédige les procès-verbaux. Une fois l’enquête terminée, le conseil délibère sur une série de propositions qui lui sont présentées par son président ; puis, les résolutions arrêtées, un rapport est rédigé où la discrétion anglaise n’est pas observée, car les faits et les chiffres y sont analysés et discutés de manière à justifier les réformes que le gouvernement veut introduire dans la législation. Ainsi, du commencement jusqu’à la fin, l’enquête française, qui a pour but la manifestation des besoins et des vœux du pays, reste soumise à l’influence de l’administration. Nous ne nous en étonnons point : l’enquête en France est ce qu’elle doit être avec les institutions que nous avons. Elle se modifiera et se rapprochera du système anglais au fur et à mesure que la France pratiquera dans toute sa vérité le principe du self government.