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sentiment du redoutable problème que posent ces questions, les ont traitées avec les plus grands ménagemens. Les économistes toutefois n’auront pas la même réserve. Pour obtenir l’assimilation des pavillons qui est dans la logique de leurs principes, ils n’hésiteront pas à pousser à la réforme de l’inscription maritime. Ils n’imiteront pas leur maître Adam Smith, qui, dans l’intérêt de la puissance de son pays, dérogeant à toutes ses doctrines, défendait l’acte de navigation de Cromwell avec son cortège de restrictions et de prohibitions[1].

Avant de quitter cette partie de l’enquête, nous devons citer un règlement auquel notre navigation peut imputer une part de son infériorité ; nous voulons parler de notre méthode de jaugeage. Un navire français jaugé officiellement 650 tonneaux ne porte réellement que ce tonnage quand il est complètement chargé. Un bâtiment américain de la même jauge officielle prend une cargaison de 800 tonneaux. Que ces deux navires naviguent en concurrence, on comprend l’avantage énorme du navire américain. Non-seulement il perçoit un fret sur 150 tonneaux de plus, mais se trouve en outre exonéré pour ce même tonnage de droits de douane, de tonnage, de greffe, de bassin, de pilotage, de remorquage, etc., qui pèsent sur tout le chargement du bâtiment français.

L’excellent mémoire de la chambre de commerce de Morlaix donne l’explication de cette différence entre le port effectif de ces deux navires. « Aux États-Unis, pour obtenir la jauge d’un navire qui sort des chantiers, on mesure la longueur et la largeur, et après avoir multiplié ces deux facteurs l’un par l’autre, on en multiplie le produit par la moitié seulement de la largeur déjà trouvée, et le tout, alors divisé par 94, le diviseur commun à toutes les nations, représente la capacité officielle du navire. Or du premier coup d’œil rien n’est plus facile que de saisir les conséquences de ce mode si favorable aux intérêts des armateurs américains, qui, pour obtenir la plus petite jauge possible, sont conduits à donner à leurs bâtimens le moins de largeur qu’ils peuvent en recevoir, afin qu’il leur soit permis d’augmenter le creux sans risque d’accroître le total de la capacité légale. » Les Anglais ont une autre règle de jaugeage, mais qui donne les mêmes résultats. On s’étonne que l’administration française n’ait pas encore réformé sa méthode, si défavorable à l’intérêt de nos armateurs.

  1. Des Richesses des nations, t. ii, p. 47.