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il prit une fièvre rhumatismale. On voulut appeler un médecin. « Pourquoi un médecin perdrait-il son temps sur moi ? Je suis un si pauvre pigeon que je ne vaux pas la peine qu’on me plume. » Il était horriblement maigre, ne dormait plus et ne pouvait plus se tenir sur ses jambes. « Quant à mon propre individu, je suis tranquille ; mais la pauvre veuve de Burns, et une demi-douzaine de ses chers petits ! Là, je suis aussi faible qu’une larme de femme. » Même il eut la crainte de ne pas finir en paix et l’amertume de demander l’aumône. « Un coquin de mercier, écrivait-il à son cousin, s’étant mis dans la tête que je vais mourir, a commencé une procédure contre moi, et va infailliblement envoyer ma maigre carcasse en prison… Oh ! James, si vous saviez comme mon cœur est fier, vous me plaindriez doublement ! Hélas ! je ne suis pas habitué à mendier ! » Il mourut peu de jours après, a trente-huit ans. Sa femme accouchait de son cinquième enfant.


II

Triste vie, et qui est le plus souvent celle des précurseurs ; il n’est pas sain de marcher trop vite. Burns était si fort en avant, que l’on mit quarante ans à le rejoindre. À ce moment, en Angleterre, les conservateurs et les croyans primaient les sceptiques et les révolutionnaires. La constitution était libérale, et semblait la garantie des droits ; l’église était populaire, et semblait le soutien de la morale. La capacité pratique et l’incapacité spéculative détournaient les esprits des innovations proposées, et les rattachaient à l’ordre établi. lisse trouvaient bien dans leur grande maison féodale, élargie et appropriée aux besoins modernes ; ils la trouvaient belle, ils en étaient fiers, et l’instinct national comme l’opinion publique se déclaraient contre les novateurs qui voulaient l’abattre pour la rebâtir. Tout d’un coup une secousse violente avait changé cet instinct en passion et cette opinion en fanatisme. La révolution française, d’abord admirée comme une sœur, avait paru une furie et un monstre. Pitt déclarait en plein parlement, aux applaudissemens universels[1], « que les traits dominans du nouveau gouvernement républicain étaient l’abolition de la religion et l’abolition de la propriété. » Toute la classe pensante et influente se levait pour écraser cette secte de Jacques, brigands par institution, athées par principes, et le jacobinisme, sorti du sang pour s’asseoir dans la pourpre, fut poursuivi jusque dans son enfant et dans son champion « Bonaparte, qui l’avait centralisé et intronisé[2]. » Sous cet acharnement

  1. Tome II, page 17, Pitt’s Speeches.
  2. Discours de Pitt, 17 février 1800,