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moderne. Les peintres voyagèrent pour imiter la couleur locale, et étudièrent pour reproduire la couleur morale. Chacun devint touriste et archéologue, et l’esprit humain, sortant de ses sentimens particuliers pour entrer dans tous les sentimens éprouvés, et à la fin dans tous les sentimens possibles, trouva son modèle dans le grand Goethe, qui, par son Tasse, son Iphigénie, son Divan, son second Faust, devenu concitoyen de toutes les nations et contemporain de tous les âges, semblait vivre à volonté dans tous les points de la durée et de l’espace, et donnait une idée de l’esprit universel. Cependant cette littérature, en approchant de sa perfection, approchait de son terme et ne se développait que pour finir. On finit par comprendre que les résurrections tentées sont toujours imparfaites, que toute imitation est un pastiche, que l’accent moderne perce infailliblement dans les paroles que nous prêtons aux personnages antiques, que toute peinture de mœurs doit être indigène et contemporaine, et que la littérature archéologique est un genre faux. On sentit enfin que c’est dans les écrivains du passé qu’il faut chercher le portrait du passé, qu’il n’y a de tragédies grecques que les tragédies grecques, que le roman arrangé doit faire place aux mémoires authentiques, comme la ballade fabriquée aux ballades spontanées, bref que la littérature historique doit s’évanouir et se transformer en critique et en histoire, c’est-à-dire en exposition et en commentaire des documens.

Dans cette multitude de voyageurs et d’historiens déguisés en poètes, comment choisir ? Ils pullulent comme les volées d’insectes éclos un jour d’été dans la végétation surabondante, ils bourdonnent et luisent, et l’esprit se trouve perdu parmi leurs bruissemens et leurs chatoiemens. Lesquels citerai-je ? Thomas Moore, le plus gai et le plus français de tous, moqueur spirituel[1], trop gracieux et recherché, et qui fit des odes descriptives sur les Bermudes, des mélodies sentimentales sur l’Irlande, un roman poétique sur l’Égypte[2], un poème romanesque sur la Perse et l’Inde[3] ; Lamb, le restaurateur du vieux drame ; Coleridge, penseur et rêveur, poète et critique, qui, dans sa Christabel dans son Vieux Marinier retrouva le surnaturel et le fantastique ; Campbell, qui, ayant commencé par un poème didactique sur les Plaisirs de l’Espérance, entra dans la nouvelle école tout en gardant son style noble et demi-classique, et composa des poèmes américains et celtes, médiocrement celtes et américains ; au premier rang Southey, habile homme qui, après quelques faux pas de jeunesse, devint le défenseur attitré de l’aristocratie et du cant, lecteur infatigable, écrivain inépuisable, chargé

  1. Voyez the Fudge Family, etc.
  2. The Epicurean.
  3. Lalla Rookh.