Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jouflroy. Après tout, cet homme est convaincu, il a passé sa vie à méditer ces sortes d’idées, elles sont la poésie de sa religion, de sa race, et de son climat ; il en est imbu : ses peintures, ses récits, toutes ses interprétations de la nature visible et de la vie humaine ne tendent qu’à mettre l’esprit dans la disposition grave qui est celle de l’homme intérieur. J’entre ici comme dans la vallée de Port-Royal : un recoin solitaire, des eaux stagnantes, des bois mornes, des ruines, des pierres tumulaires, et par-dessus tout l’idée de l’âme responsable et de l’obscur au-delà, vers lequel involontairement nous nous acheminons. J’oublie nos façons françaises insouciantes, notre habitude de laisser couler la vie ; il y a un sérieux imposant, une austère beauté dans cette réflexion si sincère ; le respect vient, on s’arrête et on est touché. Ce livre est comme un temple protestant,, auguste, quoique monotone et nu. Ce qu’il expose, ce sont les grands intérêts de l’âme, « c’est la vérité, la grandeur, la beauté, l’espérance, l’amour, » — la crainte mélancolique subjuguée par la foi, — ce sont les consolations bénies aux jours d’angoisse, — c’est la force de la volonté et la puissance de l’intelligence, — ce sont les joies répandues sur la large communauté des êtres, — c’est l’esprit individuel qui maintient sa retraite inviolée, — sans y recevoir d’autres maîtres que la conscience, — et la loi suprême de cette intelligence qui gouverne tout. » Cette personne inviolée, seule portion de l’homme qui soit sainte, est sainte à tous les étages ; c’est pour cela que Wordsworth choisit pour personnages un colporteur, un curé, des villageois ; à ses yeux, la condition, l’éducation ; les habits, toute l’enveloppe mondaine de l’homme est sans intérêt ; ce qui fait notre prix, c’est l’intégrité de notre conscience ; la science même n’est belle que lorsqu’elle entend la vie morale, car nulle part cette vie ne manque. « A toutes les formes d’être est assigné un principe actif ; — quoique reculé hors de la portée des sens et de l’observation, — il subsiste en toutes choses, dans les étoiles du ciel azuré, — dans les petits cailloux qui pavent les ruisseaux, — dans les eaux mouvantes, dans l’air invisible. Toute chose a des propriétés qui se répandent au-delà d’elle-même — et communiquent le bien, bien pur ou mêlé de mal ; — l’esprit ne connaît point de lieu isolé, — de gouffre béant, de solitude. — De chaînon en chaînon il circule, et il est l’âme de tous les mondes. » Rejetez donc avec dédain cette science sèche « qui divise et divise toujours les objets par des séparations incessantes, ne les saisit que morts et sans âme, et détruit toute grandeur. » Mieux vaut un paysan superstitieux qu’un savant froid. « Par-delà les vanités de la science et l’orgueil du monde, il y a l’âme, par qui tous sont égaux, et la large vie chrétienne et intime ouvre d’abord ses portes à tous ceux qui veulent