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régénération, il faut savoir sous quel joug de fer et d’airain ils ont vécu du temps des Bourbons. Le 15 septembre 1861, M. de Rotrou, agent consulaire de France à Chieti, dans une lettre écrite sur le brigandage et adressée au consul-général de France à Naples, disait : « Ce qui se passe aujourd’hui est la conséquence obligée du système démoralisateur appliqué par Ferdinand II pendant les douze dernières années avec une persistance remarquable. Depuis 1848, il n’avait eu qu’une pensée, qu’un but : rendre le retour au régime constitutionnel impossible par l’asservissement complet de la liasse moyenne ; l’avilissement calculé de la bourgeoisie, la licence autorisée et encouragée de la basse classe, devaient priver la première de toute confiance, de toute force et ressource en elle-même…… Chacun était impitoyablement interné dans sa localité. C’est à grand’peine que de temps en temps on permettait aux citoyens les mieux notés de se rendre au chef-lieu de la province… La lecture du journal officiel avait fini par être interdite dans les cafés. On refusait aux pères de famille l’autorisation d’envoyer leurs fils dans les grands centres pour y terminer leur éducation. Les familles de chaque localité avaient fini par ne plus se voir pour ne pas exciter les soupçons d’une police toujours prête à s’alarmer. Les délits des bourgeois étaient punis comme des crimes, leur liberté était sans cesse menacée[1]. »

En échange de cette tyrannie tracassière, tyrannie dont nous n’avons pas d’idée, car le clergé et la police s’étaient unis pour l’exercer sans contrôle, le régime constitutionnel du statut apportait la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté commerciale, la liberté de l’instruction, et tous les bienfaits qui découlent naturellement d’un tel état de choses. Est-il surprenant que la masse éclairée de la nation se soit jetée au-devant du roi Victor-Emmanuel, et se soit fermement attachée au système qu’il représente et maintient avec une loyale énergie ? Le contraire seul eût été un fait anormal et extraordinaire.

Est-ce à dire cependant que l’idée de réunir l’Italie entière sous le sceptre de Victor-Emmanuel soit une idée ancienne ? Non pas, c’est une idée toute récente, mais tellement fortifiée déjà par l’expérience qu’on peut prédire à coup sûr qu’elle fera son chemin : cette idée est née de l’idée même de l’unité italienne, idée plus vieille que Dante, et qui, en 1847, avait cru trouver son chef et son représentant dans Pie IX. Tous les penseurs de l’Italie (et ils sont nombreux dans ce pays, où la pensée a acquis d’autant plus de force qu’elle était plus comprimée) avaient espéré que le pape mettrait à exécution

  1. Lettre citée par M. Marc Monnier dans son Histoire du brigandage.