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le programme du Primato de Gioberti ; c’est là ce qui causa, à cette époque, ce grand mouvement catholique italien, qui n’était en somme qu’un mouvement politique et l’explosion des aspirations de liberté qui couvaient dans toutes les âmes. Ces espérances, si fortement conçues en 1847, étaient évanouies en 1848, et furent persécutées des 1849 ; on s’aperçut, avec désespoir et rancune, qu’on ne pouvait concilier l’inconciliable, et que, par la seule logique des choses, Pie IX était et devait être pape avant d’être prince italien. Toute l’Italie qui s’était faite guelfe retomba dans un doute sans nom ; à aucun prix, elle ne voulait redevenir gibeline. Ne voyant plus dans le pontife-roi et dans l’empereur d’Autriche que deux ennemis, elle se fit italienne et se résolut à être elle-même, en dépit de ces deux adversaires formidables qui la tenaient comme enserrée entre la double force de la religion et des armes. C’est alors que, voyant la liberté dont jouissait le Piémont sous la loi de son statut respecté, se souvenant de Charles-Albert, seul champion italien entré en lutté contre l’Autriche, glorifiant comme martyr de la patrie commune le vaincu de Novarre, l’Italie entière se mit à regarder du côté de Victor-Emmanuel, et se sentit tressaillir aux paroles d’espérance que M. de Cavour prononçait du haut de la tribune de Turin, La guerre de 1859 commença, et quoiqu’elle n’ait pas eu de prime abord tous les résultats auxquels on avait le droit de s’attendre, on put comprendre dès lors que l’unité était voulue, et que tôt ou tard elle se ferait. Aujourd’hui elle est en pleine voie de prospérité.

Le gouvernement de Turin n’en a pas moins une foule d’obstacles à combattre. La race des mécontens est nombreuse partout, et à Naples principalement. Quoique, pour les questions générales, ils fassent le plus souvent monter leurs murmures vers le Vatican, il faut bien dire que pour les questions spéciales et locales ils ne se gênent guère pour accuser le cabinet de Turin. La haute administration épurée a mis sur le pavé beaucoup d’employés qui regrettent, dans le régime passé, les émolumens qu’ils émargeaient ; les employés subalternes, qu’on a presque tous conservés, sont surveillés avec soin ; on veut leur donner des habitudes de probité qu’ils n’avaient pas toujours autrefois et abolir à tout prix le honteux usage du « pourboire » (bottiglia), qui était devenu un abus dont les chefs mêmes de service se rendaient coupables. Les nombreux employés dont le traitement a été ainsi réduit remontent directement de l’effet à la cause et en veulent à l’administration piémontaise, qui, diminuant leurs bénéfices, a rendu leur vie plus difficile[1].

  1. Parmi les mécontens on peut, sans crainte de méprise, nommer les conservateurs du musée de Naples et les employés des postes. Autrefois, sous le gouvernement des Bourbons, — j’invoque le souvenir de tous les voyageurs, — les préposés des différentes salles du musée se faisaient volontiers les ciceroni des touristes à qui ne suffisait pas l’excellent catalogue de Quaranta ; ils leur montaient la Psyché de Capoue, leur expliquaient l’usage des triclinia, faisaient tourner devant eux les vases grecs trouvés en Sicile, et en échange de ces complaisances intéressées recevaient quelques carlins. Aujourd’hui, sous peine d’exclusion immédiate, il leur est interdit de recevoir la moindre gratification. À la poste, jadis on marchandait ses lettres, que l’employé tarifait à son gré et selon ses besoins du jour, et souvent on obtenait pour quelques baiocci la remise d’une lettre dont l’employé réclamait quatre ou cinq carlins. L’administration des postes de Naples est dirigée maintenant avec une probité rigoureuse ; elle est devenue d’une exactitude qu’elle ignorait absolument autrefois. Les cochers et les facchini (portefaix) n’ont pas lieu non plus d’être contens, car on leur a imposé un tarif qui les empoche de rançonner les voyageurs ; mais le mécontentement le plus vif existe chez les barbiers, qui, presque sans. exception, regrettent tous le régime bourbonnien. La cause en est assez plaisante et mérite d’être signalée. Sous l’ancien gouvernement, la barbe était considérée comme subversive, la moustache était incendiaire, et la barbiche passait pour ennemie de l’ordre ; afin d’éviter les tracasseries de la police, chacun se faisait raser de près et fréquemment ; les barbiers étaient gens d’importance et fort occupés. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi,. car il est de mode maintenant à Naples de laisser pousser sa barbe.