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a failli tuer l’Italie ; l’unité, non-seulement peut la sauver, mais doit lui donner des splendeurs que son long martyre, toujours protesté, lui a méritées. Il faut souhaiter que le municipalisme ne renaisse jamais, car l’antagonisme provincial rouvrirait certainement la route aux étrangers. Il est une fable de La Fontaine que chaque Italien devrait se répéter tous les jours :

Toute puissance est faible à moins que d’être unie[1] !

Quant à nous, qui gardons pour la liberté un amour que rien n’a pu affaiblir, nous admirons l’œuvre qu’elle accomplit dans cette vaste péninsule si longtemps divisée ; nous admirons la persistance loyale du cabinet de Turin, qui a reçu son impulsion du comte de Cavour et qui poursuit sa marche sans se laisser arrêter par les obstacles. Quelles que soient les opinions qui nous divisent, nous ne devons jamais oublier que c’est par la liberté que l’Italie s’unit et pour ainsi dire se fonde de nouveau ; nous ne devons jamais oublier que, fidèle à ses principes, son gouvernement n’a point voulu ouvrir l’oreille aux suggestions mauvaises conseillères qui lui parlaient de dictature. Sans vouloir ici nommer personne, nous pouvons affirmer, en connaissance de cause, qu’un cabinet ami de celui de Turin n’a cessé de lui prêcher la nécessité d’une bataille avec le parti de l’action. Le cabinet de Turin a toujours énergiquement repoussé de tels avis, car il sait que ce parti de l’action ne veut ni une autre forme de gouvernement ni un renversement de dynastie ; il veut qu’on se hâte vers l’unité complète, et il faut avouer que s’il a quelquefois des intempérances de langage, elles sont excusables. Que dirions-nous en France si nos places fortes de l’est, c’est-à-dire notre frontière ouverte vers l’ennemi, étaient au pouvoir de troupes étrangères ? Que dirions-nous si, en invoquant des raisons morales si élevées qu’elles soient, un peuple voisin occupait notre capitale ? Serions-nous plus patiens que certains Italiens ? J’en doute. Il faut être indulgent pour ceux qui souffrent. Or il est difficile d’admettre que l’état actuel de l’Italie sans frontière au nord-est et sans capitale ne soit pas une cause de sérieuse souffrance. L’avenir sans doute aplanira les obstacles qui s’opposent encore à la réalisation complète du rêve italien, et l’Italie sera une si elle sait rester libre, si elle sait résister aux mauvaises inspirations, de quelque côté qu’elles viennent, et poursuivre imperturbablement son but, comme il convient à un grand peuple appuyé sur son droit.


MAXIME DU CAMP.

  1. Le Vieillard et ses Enfans, livre IV, fable 18.