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du climat, à la répulsion du spectacle qu’offraient les champs de bataille. Voilà ce qui l’a décidé. Il m’a donné d’excellentes raisons pour ne pas faire la guerre, mais pas une bonne pour faire la paix[1]. »

Cette paix, M. de Cavour était bien décidé à n’en pas accepter pour son compte la responsabilité. Il la trouvait non-seulement inopportune, mais mal conçue. D’après son jugement, qui m’a été confirmé à Turin par des hommes considérables, pleins de sagacité, et présens eux-mêmes sur les lieux, il aurait été facile, en se pressant seulement un peu moins, dans la position faite par les événement aux Autrichiens, d’obtenir d’eux le démembrement de Peschiera et peut-être de Mantoue ; « mais on avait préféré, disaient-ils, tirer tout fait de sa poche un ancien traité de Napoléon Ier, et l’on avait ainsi créé pour le Piémont des conditions d’existence impossibles. » C’était le sentiment qui animait tous les états sardes. Aux vitrines des boutiques de la plupart des villes du nord de l’Italie, le portrait d’Orsini remplaça pour un moment celui du chef du gouvernement français. M. de Cavour ne craignit point de répéter à plusieurs reprises qu’il était très effrayé de l’excitation des esprits, que les plus grandes précautions seraient nécessaires, si l’on voulait repasser par Turin pour retourner en France. Pour lui, il ne répondait de rien, et sans vouloir écouter les instances de l’empereur ni celles de Victor-Emmanuel, il insista pour faire immédiatement accepter sa démission.

Cependant M. de Cavour avait trop de ressort dans le caractère, trop de flexibilité et de ressources dans l’esprit pour demeurer longtemps. en proie à de vains regrets et à une colère stérile. Suivant sa coutume, il se mit bientôt à s’occuper de l’avenir plus que du passé, et, comme à son ordinaire aussi, il prit les amis qui l’entouraient pour confidens de ses nouveaux projets. « Ce n’est pas en arrière ; leur disait-il, qu’il convient de regarder, mais en avant. Nous avons suivi une voie ; elle est coupée : eh bien ! nous en suivrons une autre. Nous mettrons vingt ans à faire ce qui aurait pu être accompli en quelques mois. Qu’y pouvons-nous ? D’ailleurs l’Angleterre n’a encore rien fait pour l’Italie. C’est à son tour maintenant. Je m’occuperai de Naples. On m’accusera d’être un révolutionnaire ; mais avant tout il faut marcher, et nous marcherons. » Il n’en voulait nullement à M. Rattazzi d’avoir accepté sa succession. Il était au contraire disposé à lui prêter le plus sincère appui pour l’aider à triompher des embarras d’une situation ministérielle très difficile ; mais il avait peine à prendre son parti des conférences ouvertes

  1. Récits et Souvenirs, p. 400.