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de Rome à l’Italie peut s’opérer sans que l’église cesse d’être indépendante, je crois que le problème sera bien près d’être résolu[1]…..

«…..Mais, dit-on encore, nous ne pourrons jamais obtenir l’assentiment à ce dessein du catholicisme ou des puissances qui s’en regardent comme les représentans et les défenseurs… Cette difficulté ne saurait être tranchée par le glaive : ce sont les forces morales qui doivent la résoudre ; c’est la conviction qui ira croissant de jour en jour dans la société moderne, même au sein de la grande société catholique, que la religion n’a rien à craindre de la liberté… Saint-père, pourrons-nous dire au souverain pontife, le pouvoir temporel n’est plus une garantie de votre indépendance ; renoncez-y, et nous vous donnerons cette liberté que depuis trois siècles vous demandez en vain à toutes les grandes puissances catholiques, cette liberté dont vous avez péniblement, par des concordats, arraché quelques lambeaux concédés en retour de l’abandon de vos privilèges les plus chers et de l’affaiblissement de votre autorité spirituelle. Eh bien ! cette liberté que vous n’avez jamais obtenue de ces puissances qui se vantent de vous protéger, nous, vos fils soumis, nous vous l’offrons dans sa plénitude ; nous sommes prêts à proclamer en Italie le grand principe de l’église libre dans l’état libre. »


« L’église libre dans l’état libre, » voilà le dernier mot d’ordre de M. de Cavour à ses compatriotes. L’Europe entière l’a entendu avec surprise, se demandant s’il fallait n’y voir que l’expédient aventureux d’une politique aux abois, ou le saluer comme la devise de l’avenir. Dans l’opinion de M. de La Rive, « ce mot auquel l’église catholique a répondu par un cri de réprobation, y voyant un piège grossier, un artifice oratoire, loin de cacher aucune arrière-pensée ou d’être une formule de circonstance, un futile et ingénieux propos du moment, allait droit à un but défini et était l’expression sincère d’une conviction sérieuse. » Quoi qu’il en soit, et quelque jugement qu’on entende porter, ceux qui croient l’opinion de M. de Cavour sincère ont le droit de rappeler que chez lui elle datait de loin. Libéral en politique, libéral en matière commerciale, il l’était aussi dans les questions religieuses ; de tout temps, il avait regardé la liberté de l’église comme une des conditions de la liberté générale. « J’ai suivi, » écrivait-il à M. Naville en 1844, « avec un bien vif intérêt la discussion de la loi sur l’enseignement. Ces débats honorent la France et notre siècle. Le résultat me paraît de nature à satisfaire tous les hommes éclairés et modérés. Peut-être à Genève trouvera-t-on qu’on a été trop favorable aux petits séminaires ; mais on n’aurait pas raison. Les concessions faites au clergé sont aussi utiles que raisonnables. Je ne puis partager les craintes qu’elles inspirent aux philosophes et aux jurisconsultes de l’école

  1. Œuvre parlementaire du comte de Cavour, p. 598 et suivantes.