Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à celui qu’il a prématurément tiré de sa retraite de Caprera et fait tort à l’alliance française. Ces questions ne touchent qu’aux personnes ; elles sont secondaires. Nous avons hâte d’aborder les questions bien autrement graves que soulève l’état présent des choses de l’autre côté des Alpes.


Verrons-nous s’accomplir l’œuvre entreprise par M. de Cavour et que poursuivent maintenant ses successeurs ? La maison de Savoie prendra-t-elle Venise aux Autrichiens et Rome au pape, comme elle a pris les duchés, Naples, les Légations et les Marches à leurs anciens possesseurs ? L’unité sera-t-elle faite ? Que ceux-là répondent qui, par le temps qui court, ont le courage de se porter prophètes. Telle n’est pas ma vocation. L’expérience que j’ai acquise, les événemens dont j’ai été le témoin attristé, en m’ôtant ma confiance dans les prévisions des autres, ne m’en ont point donné dans les miennes. En politique, quand l’action ne nous est pas commandée, le plus sage est d’observer beaucoup, d’y regarder de très près, mais de ne pas se hâter de conclure. Ce qui adviendra de l’Italie, je ne sais ; ce que j’y ai vu, je puis le dire. D’un bout à l’autre de la péninsule, depuis ce village perché là-bas sur les pentes neigeuses des Alpes jusqu’à ces rivages brûlés de Trapani, parmi ces blonds montagnards à demi Allemands du Tyrol, italien comme parmi ces noirs insulaires qui semblent, des bords de la Sicile, tendre la main à leurs frères d’Afrique, une idée est née d’hier, et déjà elle s’est emparée de l’imagination de la jeunesse qui grandit, des gens faits qui entrent dans la vie et des vieillards mêmes près d’en sortir ; idée commune à l’élite de ceux qui pensent par eux-mêmes, comme à la masse encore plus nombreuse de ceux qui s’imprègnent sans le savoir de l’atmosphère qu’ils respirent. Cette idée, cette volonté, cette passion, c’est n’importe comment, n’importe à quelles conditions et à quel prix, de devenir le plus tôt possible les citoyens libres d’une grande et puissante nation. Dans les contrées du nord et du centre de l’Italie, ce sentiment, à peine développé, a trouvé vite le moyen de se réaliser et de se satisfaire ; ces contrées se sont faites piémontaises. J’avoue que j’ai d’abord été surpris de leur résolution ; je ne m’attendais point, quand je suis arrivé à Florence l’année dernière, à trouver la fusion si avancée et si complète. Je me souvenais d’avoir entendu les concitoyens de Machiavel et de Dante si justement fiers de leur passé historique, de leur civilisation plus avancée, de leurs lois relativement plus douces, parler avec un certain mépris de ces barbares Piémontais qui estropiaient si cruellement le pur idiome toscan. Combien tout cela était changé ? L’exposition de l’industrie réunissait alors dans ce petit pays, comme autour du berceau primitif