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ne peut pas évacuer Rome à présent, car ce serait décerner le triomphe à Garibaldi, dont les coups de tête et les défaites équivaudraient pour l’Italie à des victoires. On pourrait du moins étudier, mettre en discussion des projets de solution. Avons-nous besoin de dire qu’il n’est question de rien de semblable ?

Les derniers événemens de la guerre américaine sont les plus tristes qui se soient accomplis depuis le commencement de cette déplorable perturbation. La campagne d’été se termine, pour les fédéraux, par de graves échecs. L’armée des confédérés, par ses manœuvres et par ses combats, a refoulé les forces du nord jusqu’à Washington, et reprend la position menaçante qu’elle occupait après la première bataille de Bull’s Run. Le sud a manifestement sur le nord la supériorité militaire. On sait que les populations méridionales ont bien plus d’aptitude au métier des armes que les populations du nord ; elles ont sous ce rapport un sentiment de leur ascendant qui augmente leur aplomb et leur élan, et dont on cite des traits curieux. Les soldats du sud ont vis-à-vis de leurs adversaires des allures de défi à la façon des héros d’Homère ; parfois ils prennent plaisir par bravade à laisser les généraux du nord étudier longuement, la lunette à l’œil, leurs positions, et ils ne commencent le combat que lorsque leurs ennemis ont eu tout le temps de faire leur métier d’officiers d’état-major. Il y a dans ces intrépides soldats du sang généreux et de la bravoure spirituelle et brillante de ces cavaliers du temps des Stuarts dont on retrouve parmi eux quelques descendans. Le jour où la littérature viendra s’emparer de ces champs de bataille qui appartiennent aujourd’hui au canon, au sabre, au mousquet, elle y moissonnera les souvenirs de mille épisodes romanesques. Ce n’est pas la première fois que les causes que le bien de l’humanité réprouve se parent ainsi de vaillantes prouesses et d’un lustre attrayant. Ce n’est pas seulement à leurs mœurs de gentilshommes que les hommes du sud doivent leur supériorité de guerre sur les gens du nord. D’abord le sud a sur le nord l’avantage très important, au point de vue militaire, d’une énergique concentration des pouvoirs politiques. Le nord est demeuré une république ; le sud a réellement renoncé aux libertés d’un gouvernement républicain : il est aux mains d’un véritable comité de salut public, ou plutôt d’un dictateur, M. Jefferson Davis. Le nord fait la guerre avec tous les désavantages de la liberté : discussions de la presse, luttes d’influences, rivalités d’intérêts, jalousies professionnelles. Les plans de campagne du nord sont paralysés par les jalousies du pouvoir civil contre le pouvoir militaire, par les luttes d’amour-propre des généraux, quelquefois même, il faut le dire, par la trahison. Dans le sud au contraire, le commandement est centralisé, la politique et la guerre sont dans les mêmes mains. Il faut ajouter que le parti que le nord représente, et qui est arrivé au gouvernement par la dernière élection présidentielle., était dépourvu d’éducation administrative. Éloigné pendant quarante ans du pouvoir, il entrait aux affaires sans