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expérience, sans habileté pratique. Au contraire, les hommes qui mènent le sud, M. Jefferson Davis à leur tête, étaient des vétérans de l’administration américaine ; ils avaient fait partie des derniers gouvernemens de l’Union ; M. Davis avait été le ministre de la guerre de M. Buchanan. Non-seulement ils se sont servis des fonctions administratives qu’ils exerçaient pour préparer dans le sud tous les élémens de la sécession, mais ils ont apporté dans le gouvernement de la confédération l’habileté et le savoir-faire acquis par une longue expérience administrative. Le nord ne peut compenser ses désavantages que par la supériorité de ses ressources matérielles, supériorité qui serait peu de chose cependant, si le nord n’avait pas reçu en héritage de son ancienne métropole l’Angleterre une ténacité qu’aucun revers ne lasse, en un mot une véritable opiniâtreté saxonne. C’est cette opiniâtreté qui va être mise à une rude épreuve par les derniers échecs des armées unionistes. L’opiniâtreté même, suffira-t-elle sans une réforme politique et sans une concentration plus grande du pouvoir ? Ne faudra-t-il pas qu’elle s’incarne dans un homme de guerre ? Le nord aura-t-il un Cromwell ? Tristes doutes !

L’orage qui depuis quelques mois s’était amassé sur la Turquie commence à se dissiper. On eût dit que c’était l’Angleterre plus encore que la Porte qui était menacée en Orient par quelque mystérieuse menée, tant la diplomatie anglaise a déployé de vigilance et d’énergie pour conjurer le péril. Il y a eu en Orient un coup manqué. La pensée d’y envoyer Garibaldi et ses volontaires avait été caressée quelque part, si l’on en croit les révélations qui ont été faites à ce sujet dans le parlement italien. Soit que Garibaldi ait résisté de lui-même à la tentation, soit qu’il ait été mis en garde par des avis anglais, le concours de Garibaldi faisant défaut, les agitations locales n’ont point pris les proportions que l’on avait redoutées. Le Monténégro se pacifie. Si la Serbie écoute les conseils que le comte Russell a donnés à son prince dans ce style simple, hautain et sec, qui lui assure une véritable originalité dans la littérature diplomatique, la Serbie a son tour se calmera. Quant à nous, nous ne savons pas trop ce que nous faisons en Orient. Nous sommes occupés, là aussi peut-être, à défaire notre politique antérieure, à prendre par exemple à rebours la politique de la guerre de Crimée ; on peut avoir cette crainte, lorsqu’on voit l’influence de la Russie dans l’empire ottoman renaître en quelque sorte sous notre patronage. C’est sans doute en échange de nos bons procédés pour elle en, Orient que la Russie s’est prêtée naguère à la reconnaissance du royaume d’Italie. Cette monnaie est la seule avec laquelle la Russie peut, dans les circonstances actuelles, s’acquitter envers nous : nous ne voyons pas qu’elle puisse nous rendre d’autres services. C’eût été une faute de seconder les desseins de la Russie en Orient, lorsque sous l’empereur Nicolas on la croyait puissante. Alors cependant le renom de sa puissance eût justifié jusqu’à un certain point l’illusion d’une trompeuse alliance ; mais aujourd’hui, avec