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tique européen au sein des rapports entre les états. De ces deux tentatives, aussi sensées que généreuses, la première était destinée à échouer par l’aveuglement du petit-fils de Henri IV : en révoquant l’édit de Nantes, Louis XIV abolit, en principe comme en fait, la liberté religieuse, qui ne devait reparaître que deux siècles après Henri IV, par une révolution qui faisait monter sur l’échafaud le plus vertueux de ses descendans. La seconde tentative du chef de la maison de Bourbon fut plus heureuse; Richelieu en reprit l’exécution un moment suspendue et la fit définitivement réussir. Le mariage d’Henriette-Marie avec Charles Ier, négocié et conclu par un cardinal, fut la déclaration éclatante qu’au sein de l’Europe chrétienne la qualité de catholique ou de protestant n’était pas la loi suprême de la politique des états, et que les intérêts des nations ne demeuraient pas asservis à la foi religieuse des personnes régnantes ou gouvernantes. Toute la politique extérieure de Richelieu pendant ses dix-huit années d’empire fut le développement et la confirmation de ce premier grand acte de son pouvoir. Cet acte devait coûter cher à la famille royale au sein de laquelle il s’accomplissait : le mariage mixte de Charles Ier et d’Henriette-Marie ranima et envenima en Angleterre, entre le protestantisme et le catholicisme, cette lutte acharnée que Charles Ier paya de sa tête, et son fils Jacques II de son trône. Qu’eût dit Richelieu si, au moment où il s’applaudissait de cette alliance, l’avenir se fût dévoilé à ses yeux, s’il eût vu la guerre civile en Angleterre, la république remplaçant la royauté, Charles Ier sur l’échafaud, Henriette-Marie errante sur les mers, puis, après un retour de victoire royale, Jacques II expulsé, et le dernier de sa race mourant à Rome, sans autre asile que l’hospitalité du pape et sans autre fortune que le chapeau de cardinal? Il est difficile de dire ce qu’eût produit dans l’âme et la conduite des hommes la vue anticipée des conséquences lointaines de leurs actes, ce profond mystère des siècles. Pourtant j’incline à croire que, même devant ce spectacle, Richelieu n’eût pas changé de pensée ni de dessein. C’était un grand esprit et un grand caractère, dur et personnel sans scrupules. Le mariage d’Henriette-Marie avec le roi d’Angleterre et la ligue des états protestans sous le patronage du roi de France étaient nécessaires à la grandeur de la France et à sa propre grandeur. Quelles que dussent être les épreuves de l’avenir, il eût persisté, je pense, dans une œuvre grande en soi et que le patriotisme et l’égoïsme lui conseillaient également.


GUIZOT.

Val-Richer, septembre 1862.