Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme confiance qu’elle sortira de cette épreuve vaillamment et à son honneur, quelle qu’en soit la durée ; mais il serait puéril de se dissimuler que la lutte sera nécessairement longue, si l’on veut obtenir un résultat sérieux, et je ne sais s’il n’est pas mieux qu’il en soit ainsi, même dans l’intérêt des États-Unis. De ce rude enseignement de l’adversité ils emporteront ce qui leur a manqué jusqu’ici, l’homogénéité. De la guerre civile, par une de ces contradictions apparentes où l’on reconnaît le doigt de Dieu, ils feront sortir, vivace et profond, l’esprit de nationalité dont ils n’avaient auparavant qu’une notion imparfaite et confuse, et ils auront eu la gloire d’accomplir cette révolution en assurant à tout jamais sur leur vaste continent le triomphe de la dignité humaine.

Je n’ignore pas que la question de l’esclavage n’était, au début de la crise, qu’une des causes de la scission : si depuis elle a acquis une importance assez capitale pour rejeter toutes les autres au second plan, peut-être est-ce à la netteté, à l’unanimité avec laquelle s’est prononcée à cet égard l’opinion publique en Europe, qu’il faut l’attribuer ; mais tout doit être oublié ici devant le résultat à obtenir. Quand on a reconnu une idée pour vraie, quand on la sent telle instinctivement, il faut s’y retrancher comme dans une forteresse, sans laisser prévaloir aucun des sophismes que les adversaires de cette idée ne manqueront pas d’entasser contre elle. C’est ainsi qu’il faut envisager désormais la crise américaine. Peu importe son origine. Aujourd’hui la question de l’esclavage la domine, et cela même en dépit des allégations contraires du président Lincoln ; c’en est assez pour supprimer toute incertitude sur la cause qui doit fixer nos sympathies, et pour nous faire envisager avec confiance la solution que l’avenir tient en réserve. Sans prétendre établir de comparaison entre les états du sud et nos possessions lilliputiennes de la Guadeloupe et de la Martinique, on peut dire que jamais transition ne fut plus brusque que ne le fut celle de l’état d’esclavage à l’état de liberté dans ces deux îles en 1848 : oubli des ménagemens les plus essentiels, des précautions les plus élémentaires, il semblait que l’on eût à plaisir multiplié les difficultés, et pourtant aujourd’hui non-seulement la plaie est fermée, mais, malgré leurs plaintes, ces petites colonies sont en progrès très réel. Pourquoi, sur une plus grande échelle, n’en serait-il pas de même pour les états du sud, à cette différence près, tout à leur avantage, que nous avons eu recours aux élémens artificiels d’une émigration organisée, tandis que le salut naîtra probablement chez eux d’une émigration libre, au moyen de laquelle la petite propriété pourra se substituer en partie à la grande dans la culture du coton[1] ? Il est peu d’erreurs plus

  1. La culture du coton se prête beaucoup plus à la petite propriété qu’on ne le croit généralement. Un ouvrage fort intéressant à ce sujet est celui qu’a publié M. Frederick Law Olmsted sous le titre de Cotton Kingdom ou Royaume du Coton.