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nant .sans réserve aux hommes dont les passions ou les rêves ont concouru à creuser l’abîme au fond duquel il s’engloutit, c’est assurément l’un des plus tristes spectacles qu’il soit donné de contempler. Et quand, après trois années d’agitations qui ont bouleversé l’Europe, livré à l’insurrection la plupart de ses capitales, mis en mouvement des nations et des armées, renversé des gouvernemens réputés indestructibles, l’on voit ces vieux gouvernemens reprendre bientôt après tout le terrain qu’ils avaient perdu; lorsque les encouragemens donnés à l’Italie ont abouti au désastre de Novare, les soulèvemens de la Hongrie à l’intervention russe, les poursuites fébriles de l’Allemagne vers l’unité à la restauration de la diète de Francfort; quand en France la république a engendré la dictature, dont les empressemens de l’opinion ont presque toujours dépassé les exigences, l’on a bien acquis le droit de déclarer la révolution de février aussi stérile pour l’Europe que pour la France, qui l’a subie sans la soupçonner et sans la vouloir. Est-ce à dire cependant qu’il n’y ait aucun profit à interroger ces événemens bizarres et confus, à chercher quelque enseignement dans ce tumultueux spectacle? Nous ne le croyons pas. Quiconque veut connaître dans ses intimes profondeurs l’état moral de notre pays trouvera dans ces jours de crise un inépuisable sujet de méditation. Ne reculons donc pas devant une tâche utile, quoique pénible, et puisque de récens écrits ramènent notre attention vers 1848, demandons aux événemens de février non ce qu’ils ont produit, mais ce qu’ils nous apprennent; achevons de juger la révolution en jugeant la république[1].


I.

En aucun temps, les ambitions de notre pays ne descendirent à un niveau plus modeste qu’au lendemain du jour où il eut reçu de l’Hôtel de Ville de Paris ses décrets, ses bulletins et ses étranges commissaires. Garder sa tête sur ses épaules et sa bourse dans sa poche, n’être ni emprisonné, ni incendié, ni volé, tel fut le seul souci de la nation qui venait de goûter les nobles jouissances d’un gouvernement libre. Ce fut à peu près là le seul service qu’elle attendit des hommes placés à sa tête par le cours des événemens, service pour lequel on leur engageait à l’avance une soumission empressée et une admiration enthousiaste. La France de Louis XIV, de Mirabeau et de Napoléon n’a jamais prodigué pour aucune des glorieuses luttes intellectuelles ou militaires qui ont fondé ou agrandi sa renommée des applaudissemens aussi chaleureux que ceux par lesquels la France de 1848 encouragea les périlleux dialogues de M. de La-

  1. Voyez la première partie de cette étude, la Révolution, dans la Revue du 15 septembre.